Le grand reporter Alain Dubat livre son témoignage sur la guerre en ex-Yougoslavie
Par Thomas Guilbert Publié leLe Courrier de l'EureVoir mon actu
Sarajevo. Un soir de bombardement. Alain Dubat a commencé à écrire son livre en 1994. Le reporter de guerre pour France Télévisions a sorti le 11 novembre 2021 un roman sur la guerre en ex-Yougoslavie, Une Ombre dans la tour, édité par IGB édition.
Le journaliste, aujourd’hui retraité, a puisé dans ses nombreuses notes pour raconter les coulisses du reportage de guerre. Dans ce premier livre, il narre aussi l’histoire d’amour d’une femme sniper et d’un soldat français.
« Au début, c’était un pari avec mon ingénieur du son, Jean-Guy Devier. Je lui ai dit : j’écris ça parce que je ne vais peut-être pas m’en souvenir quand je serai vieux », explique Alain Dubat, qui a désormais élu domicile à Ménesqueville, près de Lyons-la-Forêt (Eure).
« Démystifier l’image du grand reporter »
C’est en Normandie, lors du premier confinement, que l’ancien journaliste âgé de 66 ans a bouclé son manuscrit laissé à l’abandon pendant des années. Par l’esprit et par les mots, en 2020, il a exhumé des souvenirs vieux de près de trente ans…
Le processus d’écriture a été long et difficile. L’éditeur s’est battu pour qu’Alain Dubat aille jusqu’à la dernière ligne. « Il m’a forcé et là, ça fait un carton. » Résultat : 500 précommandes et, depuis la sortie en librairie, 2 000 livres vendus. Une Ombre dans la tour est déjà en cours de réédition.
Alain Dubat n’est jamais revenu indemne de ses missions en zones de guerre. « J’ai gardé des traumatismes. Des copains, eux, se sont suicidés », glisse-t-il entre quelques anecdotes. Son livre, pour lui, devait montrer les coulisses et « démystifier l’image du grand reporter ». « Je voulais que les gens sachent les risques de dingue que nous avons pris pour les informer. Mais ce que vous avez vu à la télé, c’est 10 % de ce que, nous, nous avons vu », poursuit-il, expliquant avoir dû édulcorer les « scènes hard » dans son récit.
Portrait : l'admirateur des « barons »
« Je n'étais pas destiné à devenir journaliste. » Pourtant, Alain Dubat comptait 40 ans de carte de presse en fin de carrière. Électricien de formation, il est entré comme éclairagiste dans des émissions de l'ORTF. « J'avais envie d'aller au journal. Je voyais passer les mecs avec leurs caméras, “les barons” qu'on les appelait. Ils faisaient Cinq Colonnes à la Une et tout ça », raconte-t-il. Le sourire d'admiration demeure ; pourtant, lui aussi allait passer une grande partie de sa vie dans les zones de guerre.En 1979, il part pour son premier reportage de guerre en Iran lorsque le Shah est renversé. Suivront, au cours de sa carrière, le Liban, le Nicaragua, le San Salvador, le Tchad, le Rwanda... Puis il se fait remarquer, des années plus tard, par des confrères en réalisant seul un reportage. « J'ai proposé d'aller vivre trois semaines avec les clochards en immersion dans le métro, avec ma caméra. Ça a fait un carton. » C'est lui qui le raconte : ensuite, les journalistes Bernard Benyamin et Paul Nahon interpellent la direction de France Télévisions pour qu'il soit JRI dans le service des reporters, le faisant ainsi travailler pour des émissions comme Envoyé spécial.Sa vie, c'est surtout de l'adrénaline et beaucoup de blessures. « On apprend à vivre avec le risque. On était hyperprudents. On était loin de l'image parfois véhiculée du journaliste sans cœur qui ne pense pas. Nous étions sensibles et nous avions peur. »Lors d'une mission en Irak, la révélation lui vient après une blessure grave à la jambe. Stop ! « Pas mal de copains se sont fait tuer. Je voulais que ça ne devienne pas le reportage de trop », explique celui qui a enseigné aux jeunes reporters l'attitude à adopter en zones à risques.Alain Dubat a fini sa carrière de journaliste au service détaché à l'Élysée, sous les mandats de Nicolas Sarkozy et de François Hollande. « J'ai fait tous les déplacements de ces présidents de la République. Avant, j'étais habitué à dormir dans des trucs de merde. Là, je me suis retrouvé dans des palaces. C'était un truc de dingue », dit-il, presque écœuré.Malgré son départ en retraite en 2016, Alain Dubat n'a pas raccroché la caméra. Il a créé une société de prise de vues par drone. Jusqu'en 2020, il a ainsi travaillé pour la préfecture de Police de Paris et le ministère de l'Intérieur.
« C’est salvateur »
Au cours de sa carrière, le reporter a dû prendre lui-même l’initiative d’aller en hôpital psychiatrique quand ses traumatismes ont resurgi. « Quand on revient, on dort mal la nuit, on traverse la rue en courant. » Malgré tout, il a tenu le pari d’écrire. « Il a fallu que je me remémore certaines scènes. Ce n’était pas facile à écrire. Il a fallu que je recolle les images que j’avais évacuées… Mais c’est salvateur. »
Malgré tout, Alain Dubat a refusé de pratiquer l’exercice autobiographique. « Je ne voulais pas parler de certaines choses. Ce sont des faits réels mêlés de fiction. » Il a d’ailleurs conçu chaque chapitre comme une histoire. « Et le livre, c’est une saison. La prochaine sera sur l’Afghanistan. »
Une Ombre dans la tour est aussi le récit d’un amour. Celle d’une femme sniper et d’un soldat français. Tous deux sont réels, « mais l’histoire d’amour, elle, n’a jamais existé ».
L’« ombre dans la tour », c’est cette femme, Irina. Des snipers bosniaques ont tué son mari et son enfant. « Par vengeance, elle a décidé de les tuer. » Jamais les enfants. Seulement les hommes. « Elle en a descendu quelques-uns. Moi, je n’ai jamais voulu être témoin de cela. »
Silhouette furtive
Alain Dubat n’avait qu’un objectif : filmer Irina et raconter sa souffrance de mère et veuve en deuil. Il a bravé le danger pour approcher Irina et l’a rencontrée. On a pu voir sa silhouette à la télévision en contre-jour, « furtive ». Juste quelques plans. « Je ne voulais pas la mettre en danger pour faire une image. »
Alain Dubat en garde en tout cas un souvenir ambivalent. « Elle était surprenante, particulièrement belle, et en même temps, elle était triste. D’ailleurs, tous les lecteurs tombent amoureux d’elle. De mon côté, je pensais que ce qu’elle faisait était dégueulasse. Mais quelque part, j’avais de l’empathie pour cette fille. En vérité, nous ne savons jamais comment nous réagirions si quelqu’un tuait nos femmes et nos enfants. »
Avec son ancien collègue Laurent Boussié, Alain Dubat envisage de retourner à Sarajevo, de retrouver la « famille de cœur » qui les « couvrait d’amour en permanence », lui et son équipe, mais aussi toutes les familles qu’ils ont rencontrées. Et peut-être Irina. Comme la plupart des personnages du roman, elle a survécu à la guerre.
Cela reste un projet, tout comme celui de voir son livre porté sur grand écran. Mais aujourd’hui, Alain Dubat songe à la suite de ses aventures. Même si l’édition de son premier roman lui procure une grande satisfaction, le grand reporter reste humble et plein d’humour : « On a comparé mon livre à du Kessel. Mais si j’avais son talent, ça se saurait. »
Alain Dubat, Une Ombre dans la tour, IGB Édition.Cet article vous a été utile ? Sachez que vous pouvez suivre Le Courrier de l'Eure dans l’espace Mon Actu . En un clic, après inscription, vous y retrouverez toute l’actualité de vos villes et marques favorites.
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