Dis-leur ! Inclusion : “Hypermotivés”, seize stagiaires handicapés foncent vers leur permis Navigation des articles
Près de Montpellier, l’association les Compagnons de Maguelone les accompagne, une auto-école de Montpellier à vocation sociale propose une pédagogie adaptée et les comptes personnels de formation financent le permis de conduire. Une belle initiative !
C’est un sourire intérieur qui éclate au grand jour. Originaire de Sauvian (Hérault), Jérémie (prénom changé) est atteint d’une déficience intellectuelle légère, salarié aux espaces verts aux Compagnons de Maguelone, association qui accompagne les handicapés, près de Montpellier, il vient d’obtenir, via son CPF (compte personnel de formation) de quoi financer le permis de conduire au tarif “normal”, comme tous les autres aspirants au “papier rose”.
“Enfin plus autonome”
Jérémie le dit avec des mots simples. Et forts. “Je vais enfin être plus autonome… Je ne vais plus dépendre de quelqu’un pour me déplacer, aller voir ma famille à Carnon ou Sauvian…!” Cela ressemble à une victoire. Ça en est une. Depuis décembre dernier, il apprend le Code de la route. “J’essaie de me débrouiller”, dit-il. “Passer le permis c’est devenir plus autonome dans les déplacements, cela permet d’avancer dans la vie, ne plus dépendre des autres”, s’accordent à dire Florian, Maylis, Aurélien, Manon, Hocine, Emeline, Axel et Nicolas. “Je veux passer le permis pour bouger quand je veux, aller faire mes courses, faire un voyage…”, expliquent Vanessa et Didier. “Avoir une voiture pour être au chaud car en scooter, il fait froid !”, précise Ludovic. “Je veux connaitre le Code de la route pour me protéger quand je suis en scooter et pour protéger les autres”, dit Clément.
Inclusion sociale moins taboue
Les Compagnons de Maguelone accompagnent seize stagiaires, dont quatorze passeront Code et conduite et deux participeront seulement à une initiation au Code pour un projet plus modeste d’achat d’un scooter ou d’un vélo. Michelle Lornier, leur formatrice de l’auto-école sociale à vocation d’insertion, Les Clés de la Route – tout un programme – vient régulièrement les faire travailler. L’inclusion sociale est de moins en moins taboue. Elle-même a justement une approche individualisée de l’élève.
“Par le passé, rapporte la monitrice, Michelle Lornier, nous avions répondu à la demande plusieurs apprentis conducteurs en situation de handicap avec des dyscalculies, dyspraxies, dyscalculies, ce qui rend leur apprentissage forcément moins facile ; nous étions aussi intervenus précédemment dans un Esat pour de la sensibilisation à la sécurité routière. Là, c’est la toute première fois que cela se fait avec un groupe avec, pour finalité, le passage du permis de conduire.”
Pédagogie inadaptée dans auto-écoles “classiques”
Il a fallu deux ans de préparation pour monter ce projet “issu d’un travail collectif avec les éducateurs, régisseurs”. Nathalie Ammour, éducatrice spécialisée au FLE (foyer logement éclaté), qui coordonne le projet aux Compagnons de Maguelone, explicite : “On a monté ce projet parce que l’on s’est rendu compte que certains salariés chez nous exprimaient une forte demande pour passer le permis et qu’ils se rendaient dans des auto-école “classiques” où la pédagogie ne leur est pas forcément adaptée. Et que c’était par ailleurs coûteux. On a voulu les aider.”
Pour ce faire, les Compagnons se sont mis en quête “du bon partenaire, Clés de Route, qui a l’habitude des publics des Esat et des élèves qui ont des difficultés avec la langue française, par ailleurs. Ils ont développé toute une pédagogie adaptée. De notre côté, nous avons dégagé des heures de soutien, prises sur le temps de travail des salariés concernés, pour qu’ils suivent leurs cours de code le vendredi matin.” Pour le financement, après des recherches, les Compagnons, ont découvert que les élèves pouvaient le faire financer via le compte personnel de formation.
Tests et visite médicale
Le handicap de chaque candidat n’est pas un frein en soi. Déjà parce qu’il y a des préalables avant d’entrer en formation : des tests psychotechniques avec un psychologue agréé Sécurité routière qui fait une recommandation. Il y a aussi une visite médicale chez un généraliste, lui aussi agréé par la préfecture qui donne ou non le feu vert. “L’idée de ce projet c’était vraiment de faciliter et d’adapter l’apprentissage en terme de pédagogie”, précise Nathalie Ammour.
Ici, pas question de vouloir copier le taux de réussite moyen à l’examen du permis, toujours curieusement invariablement fixé à environ 50 % (sur plus de 1,2 millions d’inscrits en 2019) mais davantage sur le modèle de la conduite accompagnée qui débouche, elle, sur un quart des permis délivrés avec un taux de réussite de près de 75 %. “Nous nous situons dans le parcours de l’élève, dans son parcours de handicap”, précise Michèle Lornier. Cette dernière évoque une méthode empreinte d’empathie.
“Nous faisons beaucoup répéter ; nous reformulons à maintes reprises ; nous réexpliquons et réexpliquons encore” de sorte que l’aspirant au “papier rose” s’approprient les questions, parfois un peu tordues, il faut bien le dire, en tout cas piégeuses. “Nous prenons le temps de bien définir les mots qui peuvent leur apparaître compliqués comme accotements, chaussées, etc. Le secret c’est de travailler doucement. A leur rythme. Pour qu’il n’y ait pas une trop forte charge mentale à gérer.”
“Des personnes extrêmement motivées”
Justement, l’auto-école Les Clés de La Route ne met pas la charrue avant les boeufs. Arriver devant l’examinateur en conduire pourrait, pour certains prendre plusieurs années. C’est pourquoi, “nous nous focalisons pleinement sur l’obtention du Code et on ne leur demande pas de financer déjà la conduite”, souligne Michelle Lornier. Cette approche plus “inclusive”, n’en déplaise à un certain candidat à la présidentielle, montre aussi des “personnes extrêmement motivées pour lesquelles avoir ce permis est un rêve qui se réalise. Je me souviens qu’une candidate qui avait voulu le passer et qui m’a appelée pendant deux ans et demi ; qui se débrouillait par ses propres moyens pour venir me voir régulièrement à l’auto-école. Une telle ténacité et une telle motivation, cela force le respect.”
Et puis demain, avec la boîte de vitesse automatique, les multiples aides à la conduite (caméras et même aide au stationnement), jusqu’à la possible la voiture autonome un jour, qui sait, le permis de conduire sera sans doute généralisé à l’ensemble de la population, comme une évidence, sans coup de klaxon. Naturellement.
Olivier SCHLAMA