GRAND FORMAT - Quand nos agriculteurs font pousser des caméras
Agriculture - Pêche DOSSIER : Le reportage Grand Format de France Bleu Isère-
Par Laurent Gallien, France Bleu Isère"Grand format" part à la rencontre d’agriculteurs isérois qui ont ou vont succomber à une tendance de plus en plus répandue : l’équipement en vidéosurveillance des exploitations agricoles. Les caméras gagnent du terrain face à l’insécurité ou au sentiment d’insécurité dans les campagnes.
Elles sont là. Parfois bien visibles aux abords d’une serre. Parfois plus cachées. Les caméras se font de plus en plus une place dans les fermes, changeant les habitudes de vies, face à des actes qui défient parfois l'imagination. Au Bouchage, près de Morestel, un couple d'agriculteurs bio se fait voler 4 000 courges en une nuit ! A Saint-Marcellin une ferme et ses dépendances partent en fumée. "Aucune piste n'est exclue" disent les enquêteurs mais il y a trois départs de feu. Insécurité grandissante ou sentiment d'insécurité grandissant, quoi qu'il en soit le résultat est le même. Souriez vous êtes filmés ! Même à la campagne.
Les données brutes
Les chiffres précis des actes de délinquances et d’incivilités visant des agriculteurs ne sont pas faciles à trouver. Parce que la délinquance en zone rurale n'est pas spécialement répertoriée de cette manière, entre les agriculteurs et les autres.A l’exception ces dernières années des actes liés à ce qui a été appelé l’agribashing, qui ont diminué en 2020 en Isère selon la préfecture et ont été plutôt stables sur les neuf premiers mois de cette année.
Reste que les atteintes aux biens sont en augmentation ces dernières années dans les zones gendarmeries -qui couvre majoritairement des zones rurales ou de petites villes- et qu’en Isère a été récemment réactivé une convention liant chambre d’agriculture, préfecture et gendarmerie pour la mise en place de référents dans les brigades et pour de meilleures remontées des informations.
Une délinquance qui se manifeste parfois de manière spectaculaire
En février 2021 à Saint-Marcellin la ferme Jany est partie en fumée. Toutes les pistes restent ouvertes selon les enquêteurs. Sauf qu'ici il y a eu trois départs de feu sur trois bâtiments distincts. La piste criminelle ne fait aucun doute pour le fils, Jules Jany, qui a cessé de perdre du temps à se demander qui est comment "parce qu'on en sort pas et que les questions restent sans réponse". Parce qu'il a fallu aussi se relever le plus vite possible pour faire une récolte de noix malgré tout cette année, dans le seul bâtiment encore debout, avec du matériel racheté grâce à une avance des assurances et l'aide d'agriculteurs voisins. Avec la boule au ventre toujours, "bien sûr donc du coup là on a prévenu les voisins, dès qu'il y a un bruit, que les chiens aboient mon père se lève..."
Dans le futur bâtiment il y aura des caméras, des portes et des alarmes partout. A regret dit Jules Jany. "On a toujours vécu, on a toujours travaillé un peu en famille. Mon grand-père il est à la retraite mais il vient toujours faire son petite tour. Donc ça veut dire que si là on ferme tous les bâtiments, qu'on met des alarmes il faudra qu'il comprenne qu'il ne peut plus revenir [...] mais bon on n'a pas le choix". D'autres agriculteurs devraient suivre : il y a eu trois incendies de fermes inexpliqués en un an dans le pays de Saint-Marcellin.
Dans un autre genre, en octobre 2021 au Bouchage, près de Morestel, Wilfried et Amandine Gagneux ont subi eux un vol... de courges ! Des courges bio dérobées comme si c'étaient des truffes. On est loin du chapardage : 4 000 courges ont disparues en une nuit. L'œuvre "de professionnels", "équipés", avec derrière "un genre de marché parallèle" forcément pour Amandine.
Depuis le couple, récemment installé en agriculture, et déjà victime d'un vol de moindre ampleur l'an passé, envisage de renforcer la sécurité de sa production avec "un système de caméra de chasses, qui préviennent sur le portable quand il y a une intrusion. On va peut-être être réveillés par un chevreuil ou un sanglier mais aussi par des personnes qui entrent dans la parcelle, un camion..." Le coût de l'équipement les retiens encore mais pour combien de temps ?
Une aide à l'équipement du conseil départemental de l'Isère
La tentation des caméras et la demande sont si présentes dans le monde agricole que le département de l’Isère a adopté en avril 2021 une délibération permettant d’aider les agriculteurs à s’équiper en vidéosurveillance. Les frais sont pris en charge à hauteur de 80%, jusqu’à concurrence de 4 000 euros. Pour lutter contre les vols de carburant, de ruches, de petits matériels et les incendies. Et puis finalement ces caméras peuvent aussi alerter plus vite d’un début de sinistre accidentel, permettre de surveiller les bêtes à l’étable et la vache prête à vêler. Elles n’ont donc sans doute pas fini de s’immiscer aussi dans nos campagnes.
Laurent GallienFrance Bleu Isère