Affaire Gérald Marie : Le rôle trouble de Mimi Marchand pour défendre l’agence de mannequins Elite il y a vingt ans
C’est un cold case qui se réchauffe. Dans le sillage des accusations contre l’agent de mannequins Gérald Marie, visé par une enquête pour viols, l’affaire Elite ressurgit vingt ans après avoir défrayé la chronique en France et au Royaume-Uni. Accusés à l’époque d’avoir mis en place un système d’exploitation sexuelle de jeunes mannequins, l’agence et son patron Europe avaient contre-attaqué avec force. Devant les tribunaux, mais aussi dans les médias. Au cœur de cette riposte, une femme de l’ombre très connectée : la reine de la presse people Mimi Marchand.
Avant de reprendre l’agence BestImage et de devenir conseillère non officielle en image du couple Macron, Mimi Marchand a eu 1.000 vies. C’est à l’époque où elle fréquente le monde de la nuit – d’abord avec un garage ouvert 24h/24 puis à la tête de clubs parisiens –, dans les années 1980-1990, qu’elle fait la connaissance de Gérald Marie, un habitué des Bains Douches et de Chez Régine. Quand un reportage undercover de la BBC fait trembler Elite en 1999, Gérald Marie et son associé Alain Kittler se tournent vers un pompier de confiance pour éteindre l’incendie : Mimi, évidemment. A la tête de l’agence de presse Shadow and Co, elle fournit l’essentiel des scoops de Voici. Et si elle n’a pas – encore – l’oreille des présidents, Michèle Marchand a déjà celle de tous les patrons de presse. Et des liens chez les forces de l’ordre via son compagnon, un policier des renseignements généraux qu’elle a depuis épousé.
Une jeune mannequin à la rescousse
Première étape : redorer l’image d’Elite. Dans le documentaire en caméra cachée de la BBC, on voit notamment Gérald Marie dire à une journaliste qui se fait passer pour une mannequin : « Je te donne 1 million de lires [l’équivalent de 600 euros] si je te baise ! » Deux semaines après la diffusion, Gérald Marie débarque sur le plateau de Tout le monde en parle. Entouré de deux jeunes mannequins, il assure que le reportage est truqué. « En somme, c’est vous qui vous êtes fait baiser », ricane Thierry Ardisson. Loan Chabanol, pas encore 17 ans et visiblement mal à l’aise, certifie à l’écran qu’elle n’a « jamais été obligée » d’aller à des dîners avec des hommes fortunés.
Dix jours après une enquête du magazine Capital dans laquelle Omar Harfouch dénonce des faits de harcèlement sexuel sur mineures, la Dépêche du Midi consacre un article à cette guerre sans merci en septembre 2001. Mimi Marchand, présentée comme appartenant au service de presse d’Elite, invoque une « vendetta commerciale » et demande : « Qui veut tuer l’agence ? » Loan Chabanol, toujours elle, le jure dans l’article : « Nous sommes vraiment très protégées. » C’est ensuite qu’Omar Harfouch est visé par une campagne pour le discréditer.
Faux rapport d’Interpol
A l’automne 2001, plusieurs documents commencent à circuler dans les rédactions parisiennes et genevoises. Parmi eux, un procès-verbal de police, dans lequel un patron de bar parisien accuse Harfouch de servir d’intermédiaire à des proxénètes. Une ancienne journaliste explique à 20 Minutes ne pas l’avoir évoqué dans son article, trouvant le timing trop suspect. Sylvain Besson, à l’époque journaliste pour Le Temps, relève de son côté de « curieuses anomalies formelles » dans ce PV. Selon nos informations, un policier s’étant porté garant du témoignage concernant Omar Harfouch auprès de plusieurs journalistes s’est ensuite rétracté, expliquant avoir confondu deux affaires.
Dans un autre document qui ressemble à une note de renseignement, Omar Harfouch est présenté comme persona non grata au Liban connue des services d’Interpol. Elite dénonce une « affaire Harfouch » et adresse une lettre ouverte à la presse. A quelques semaines d’écart, la Tribune de Genève et l’Express reprennent les grandes lignes de ces accusations.
Dix ans plus tard, en 2009, le documentaire Les Méthodes choc des paparazzi, diffusé sur Canal+ dans Spécial Investigation, révèle que cette supposée fiche Interpol est bidon. Elle semble provenir d’une agence privée de renseignement franco-suisse, Intelynx, en activité à l'époque. Le document de trois pages, que 20 Minutes a obtenu, semble adressé par un certain Michel Gizardin à Michèle Marchand, « de la société Elite », et commence ainsi : « Madame, suite à votre demande… »
Sauf qu’Intelynx n’a jamais rédigé cette note. « Il s’agit d’un faux. Nous n’avons jamais écrit de rapport à ce sujet et n’avons jamais eu d’employé du nom de Gizardin », certifie à 20 Minutes l’ancien patron d’Intelynx, Yves Baeumlin, qui a fait carrière dans le contre-espionnage à la DST. Selon lui, il s’agit d’un « travail d’amateur », avec une « note grossièrement trafiquée et mise sur un papier à en-tête. Y mentionner des infos de fichiers Interpol relève de la connerie totale. »
Plainte contre X et enquête ouverte
Omar Harfouch, qui jure n’avoir rien à voir avec ces affaires, convainc un journaliste de lui faire suivre le fax comportant ce faux rapport. L’avocat de l’homme d’affaires en profite pour envoyer un fax vide au numéro de l’expéditeur originel, visible sur l’entête. Deux heures plus tard, il reçoit une réponse de… Shadow and Co, la société de Mimi Marchand.
Omar Harfouch porte plainte contre X. L’affaire, confiée à une juge d’instruction, sera finalement classée, mais il gagnera ses trois procès en diffamation, contre l’agence Elite ainsi que contre La Tribune de Genève et l''Express. Joint par 20 Minutes, l’ancien rédacteur en chef de l’hebdomadaire français, Renaud Revel, assure « ne pas se souvenir » de qui lui a envoyé les documents. Mais face à la caméra de Spécial Investigation, en 2009, il déclarait : « On a pas mal été instrumentalisés par les gens d’Elite à l’époque. Ils ont essayé de nous faire passer des documents qui s’avèrent, encore une fois, aujourd’hui totalement bidonnés. »
Mimi et les alias
Faux certificat de mariage de Vincent Lindon et Caroline de Monaco, chèque en bois, interview inventée du garde du corps de Lady Di… Dans le livre Mimi (2018, Editions Grasset), les journalistes Jean-Michel Décugis, Pauline Guéana et Marc Leplongeon sont revenus sur quatre affaires dans lesquelles Michèle Marchand a été accusée ou soupçonnée d’avoir fabriqué des faux – ce dont elle s’est toujours défendue. En 1986, elle avait été condamnée à six mois de prison pour « émission de chèques sans provision, falsification et usage ». Trois ans plus tard, en appel, elle avait toutefois été relaxée de la charge de falsification, avec une peine ramenée à quatre mois avec sursis.
Sollicitée par 20 Minutes pour donner sa version sur l’origine du faux rapport d’Intelynx signé par ce mystérieux « Michel Gizardin », l’avocate de Michèle Marchand, Caroline Toby, n’a pas donné suite. Selon un ancien associé, à l’époque de Shadow and co et Voici, Mimi Marchand, qui n’avait pas le droit de figurer sur les statuts de l’entreprise à la suite d’une condamnation précédente, avait souvent recours à des alias. Dans ce qui n’est peut-être qu’une coïncidence surprenante, le nom d’épouse de son amie d’alors, Michelle Pataud, la gérante de Shadow, est… Gizardin.
Malgré ses ennuis judiciaires récents, avec une mise en examen cet été pour « subornation de témoin » dans un volet de l’enquête sur les soupçons de financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy, « Mimi », 74 ans, a déjà rebondi. Après un mois en détention provisoire pour avoir violé son contrôle judiciaire, c’est elle qui était en charge du carré VIP à la messe d’enterrement de Bernard Tapie début octobre. Parmi les invités, Brigitte Macron et Nicolas Sarkozy, notamment.
JusticeQui est Gérald Marie, l’ancien patron d’Elite Europe accusé de viols par d’anciens mannequins ?Médias« Paris Match » : « Malaise » à la rédaction dans le sillage de l’affaire Mimi Marchand