Peut-on cacher une caméra dans une maison de retraite ?
Est-il légitime de cacher une caméra dans une maison de retraite ? L’inquiétude d’une famille, face à des possibles maltraitances, peut-elle justifier de filmer les soignants à leur insu ? Voilà les questions éthiques qui se posent après la révélation, la semaine dernière, de faits très graves dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) à Arcueil (Val-de-Marne). Un aide-soignant, âgé de 57 ans, est accusé d’avoir brutalisé et insulté une résidente de 98 ans durant la nuit. Arrêté, il a comparu vendredi 15 février devant le tribunal de Créteil, qui a renvoyé son procès au 22 mars avant de le maintenir en détention.
Des maltraitances ignorées par l’Ehpad,
C’est parce qu’ils soupçonnaient des maltraitances, visiblement ignorées ou sous-estimées par la direction de l’Ehpad, que les enfants de la vieille dame ont dissimulé une caméra dans sa chambre et qu’ils ont découvert les actes de violence. « Vu les circonstances, je trouve cela légitime », estime Joëlle Le Gall, présidente d’honneur de la Fédération nationale des associations et des amis des personnes âgées et de leurs familles (FNAPAEF). « Quand une famille soupçonne des maltraitances, elle doit alerter la direction. Mais si rien n’est fait, on peut comprendre que les proches d’une personne vulnérable veuillent la protéger », ajoute Joëlle Le Gall.
Pour Pascal Champvert, il est difficile d’avoir une « réflexion éthique sereine » dans le contexte de cette affaire du Val-de-Marne. « Car personne ne peut contester que c’est grâce la caméra de cette famille que l’on a pu écarter cet individu dangereux » indique le président de l’association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA). « Ma première réaction serait donc de dire que l’initiative de cette famille, certes discutable, a permis de mettre un terme à des actes autrement plus graves. Mais il faut, aussi, se détacher du contexte. Et au final, je pense quand même que filmer des soignants à leur insu ne peut pas être la solution », ajoute-il.
Le signe d’une « confiance totalement rompue »
Tel est également l’avis d’Alice Casagrande, vice-présidente d’une commission sur la bientraitance mise en place en mars 2018 par le gouvernement. « Pour en arriver à cacher une caméra, il faut que la confiance dans l’établissement ou les soignants soit totalement rompue, dit-elle. Et dans ce cas, le plus sage est sans doute de trouver une autre structure. S’engager dans un mécanisme de surveillance vidéo crée un climat de défiance telle que la relation entre les différentes parties devient impossible. »
En 2014, ce sujet avait été évoqué lors d’une conférence à Paris. Marie Ève Bouthillier, chef de l’unité d’éthique clinique du centre de santé de Laval (Québec), avait alors raconté le cas d’un fils qui avait installé une caméra dans la chambre de sa mère atteinte de la maladie d’Alzheimer. « Cacher une caméra donne un faux sentiment de sécurité à la famille, » expliquait alors cette responsable à la Croix. « En fait, on constate que cela finit toujours par être découvert et par provoquer une rupture profonde dans la relation de confiance avec l’équipe soignante, ajoutait-elle. Dans le cas de cette dame, les personnes qui s’occupaient d’elle au quotidien ont terriblement mal vécu le fait d’avoir été épiées à leur insu. Elles se sont senties salies. »
« Assurer la sécurité des usagers »
En mars 2018, le Québec a pourtant voté une loi autorisant les familles à poser une caméra dans la chambre d’un centre d’hébergement de soins de longue durée(CHSLD). « La caméra n’est pas pour juger mais plutôt pour assurer la sécurité des usagers », avait alors expliqué la ministre québécoise des aînés. Les syndicats ont tenté de s’y opposer au nom du respect de la vie privée des employés.
« Mais le législateur a estimé que le droit des employés passait après celui des personnes vulnérables d’être protégées, explique Me Jean-Pierre Ménard, avocat à Montréal. Au départ, les établissements voulaient qu’un pictogramme soit apposé à l’entrée de chaque chambre dotée d’une caméra par la famille. Mais on a obtenu que le pictogramme soit placé à l’accueil pour dire ce que certaines chambres pouvaient avoir une caméra. Mais sans que le personnel ne sache lesquelles. »
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Ce que dit la loi
Une caméra à domicile. Il n’existe pas de texte spécifique sur l’usage des caméras en Ehpad. Mais la loi autorise un particulier à en installer à son domicile pour en assurer la sécurité. Il doit toutefois respecter la vie privée des voisins, des visiteurs et des passants.
Le cas des employés à domicile. Si une personne salariée garde les enfants à la maison ou si du personnel médical intervient quotidiennement au domicile pour soigner une personne, les règles du Code du travail s’appliquent selon la Commission informatique et liberté (Cnil). « Ces personnes devront être informées de l’installation de caméras et de leur but. Les caméras ne devront pas filmer les salariés en permanence pendant l’exercice de leur activité professionnelle », ajoute cette instance.