Mazout, c’est la fin du gazole
C'est la fin d'un mythe. Celui d'une vie à rouler pas trop cher, pas trop vite, en éructant des fumées noires, sans se douter des méfaits pour la santé et l'environnement. Les voitures à moteur diesel (on dit aussi gazole, voire mazout), archi-majoritaires depuis le début des années 80 en France, encore plébiscitées par 73 % des acheteurs de véhicules neufs en 2012, sont passées en 2017 sous la barre des 50 % pour atteindre 47 % des acquisitions de bagnoles neuves, selon le Comité des constructeurs français d'automobiles. Le contrecoup du «dieselgate», cette arnaque de plusieurs fabricants qui ont truqué le logiciel antipollution des véhicules avant d'être pris la main dans le pot d'échappement en 2015. Ce déclin devrait s'accentuer avec la hausse annoncée du prix du gazole (7,6 centimes par litre en 2018) qui vise à aligner les prix des différents carburants d'ici trois ans. Un premier constructeur a pris les devants, le japonais Toyota qui a indiqué à Auto Plus être sur le point de cesser sa production d'engins diesel. Nicolas Hulot, le ministre de la Transition écologique, ne cache pas qu'il s'agit d'un objectif politique : «Nous visons la fin de la vente des voitures à essence et diesel d'ici à 2040.» Après plus de trente ans de soutien inconditionnel au gazole, c'est un retour en arrière vers l'essence, en attendant peut-être le décollage des carburants alternatifs, plus écologiques.
D comme dada
Si le diesel s'est enflammé en France, c'est grâce à un VIP jusqu'au-boutiste, un ancien conseiller de Giscard qui a eu sa marionnette aux Guignols de l'info, caricature du patron du CAC 40 : Jacques Calvet. Le président de PSA Peugeot Citroën entre 1983 et 1997 voulait repousser la concurrence japonaise. Son discours : la bagnole française est meilleure. Pourquoi ? Grâce au gazole, que le monde entier nous envie. «Il faut bien voir que le [moteur] diesel a un coût d'entretien et de carburant moins élevé, pollue beaucoup moins qu'un moteur à essence sans catalyseur piloté, et [il est meilleur] pour l'économie nationale», déclare-t-il. Le gouvernement se réjouit de ce débouché pour les stocks de mazout, initialement destinés au chauffage mais dont les Français ne veulent plus depuis les chocs pétroliers. La bagnole devient une «chaudière sur roues»…Effet magique : l'argument gazole relance la filière, et donc maintient l'emploi. Et même si Calvet supprime tout de même 50 000 postes, les gouvernements cèdent à son chantage économique et patriotique, accordant des primes pour encourager l'achat de véhicules neufs, synonymes de diesel. Avec la Commission européenne, c'est différent, Calvet se casse les dents. L'Europe continue à préférer l'essence, on se demande bien pourquoi.
I comme inventeur
Diesel, comme guillotine ou poubelle, c'est d'abord un nom de famille. Celui de son créateur, Rudolf Diesel (1858-1913), ingénieur allemand né à Paris, qui met au point à la fin des années 1890 un «moteur à huile lourde» censé marcher à l'huile végétale, et non au pétrole. Le rendement est supérieur à celui des systèmes à essence. Premiers engins munis de cette trouvaille : des trains, camions et même navires (il faudra attendre l'après-Seconde Guerre mondiale pour produire des voitures à moteur diesel). Surexcités, les gouvernements et les industriels se battent pour mettre le grappin sur le brevet. Est-ce un hasard ? Monsieur Diesel disparaît mystérieusement alors qu'il se rendait par bateau en Grande-Bretagne - il se serait jeté par-dessus bord en pleine nuit. Ruiné, fatigué par les pressions diverses, Rudolf Diesel avait publié en 1903 Solidarismus, un livre dans lequel il prônait une société entre communisme et capitalisme paternaliste.
E comme échappement
On en vient au sujet qui fait tousser. Les véhicules à gazole entraînent 10 000 décès par an en Europe selon une étude de la revue Environmental Research Letters parue en septembre. La faute aux particules fines, à propos desquelles le professeur André Roussel alertait déjà le ministère de l'Environnement en 1983, préconisant de «réduire au maximum les émissions de particules [les particules fines, ndlr] du fait des risques cancérogènes». A l'époque, la France est en train de basculer dans le gazole et, donc, les recommandations de Roussel sont ignorées. Mais les signaux d'alarme se succèdent, lancés par certains médecins ou associations. En 2008, l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) s'appuie sur quarante études scientifiques menées depuis les années 80, qui confirment les risques accrus de cancer pour les sujets professionnellement exposés aux fumées du gazole (notamment conducteurs de bus, taxis, trains, poids lourds, etc.). Nouvelle louche en 2012 : les émissions des moteurs diesel sont classées dans la catégorie des cancérogènes certains par le Centre international de recherche sur le cancer (Circ). Cet organisme, qui fait partie de l'OMS, affirme : «Les preuves scientifiques sont irréfutables […] : les émanations des moteurs diesel causent des cancers du poumon» Un lien avec le cancer de la vessie est aussi fortement soupçonné.
S comme sport
Ça valait bien le coup que Peugeot claque autant de millions dans le perfectionnement de ses moteurs diesel : c'est le constructeur allemand Audi qui devient le tout premier à gagner les 24 heures du Mans avec un bolide à gazole, le 19 juin 2006. Cette prouesse sportive et technologique met fin à la suprématie de l'essence qui dure depuis 1923 tout de même. Elle venge les précédentes tentatives avortées du diesel, dont la toute première - en 1949, sur un modèle Delettrez - s'était soldée par un abandon peu avant la mi-course, pour cause de panne de carburant… En 2006, les trois pilotes victorieux, Emanuele Pirro, Frank Biela et Marco Werner, devancent l'équipe du Français Sébastien Loeb. Ils martèlent en interview qu'ils «entrent dans l'histoire». Par sa prestation, le groupe Volkswagen (qui possède Audi) démontre au grand public l'efficacité de son moteur à injection TDI, une arme secrète qu'il peaufine depuis les années 80 et qui est censée apporter plus de confort à la conduite sur moteur gazole.
E comme évasion
Le type à moustaches est un aventurier au grand cœur. Découvrant un bébé chien coincé dans la neige, il le met au chaud dans son 4 × 4 diesel vert kaki et s’en va à la recherche de la maman chien. Le 4 × 4 a fière allure avec son bidon «Shell Formule Diesel» accroché à l’extérieur de l’habitacle (et qui, c’est dingue, ne gèle pas). Autre miracle : le héros moustachu retrouve la mère (une très belle chienne-louve) et peut lui rendre son chiot égaré. Les violons chantent. Le 4 × 4 s’éloigne sur un coucher de soleil. Ce clip télé pour le diesel de la fin des années 80 montre comment les marchands de carburant veulent associer le gazole à l’évasion, à la nature, aux grands espaces, à défaut de la vitesse et du confort (ça, c’est l’essence). Un univers plus glamour qu’au début des voitures diesel, si on songe que le premier modèle (hors taxi) était une Mercedes 260 D, lancée à partir de 1936 et bientôt réquisitionnée par d’autres types à moustaches : les nazis, tout particulièrement les agents de la Gestapo.
L comme logiciel
Pour limiter les rejets toxiques d'un moteur à diesel et respecter les normes environnementales, les constructeurs ont équipé leurs voitures d'un logiciel calculateur, qui active un filtre antipollution. Problème : l'usage de ce logiciel entraîne une surconsommation de carburant. D'où l'idée de frauder : les fabricants (aidés par les ingénieurs de Bosch) ajoutent à l'ordi de bord un algorithme qui permet de «débrider» le moteur en temps normal et donc de rejeter plus de mauvais gaz qu'autorisé. En cas de contrôle technique, le logiciel se remet à fonctionner parfaitement, et active le filtre, laissant croire que le véhicule est «propre». Le scandale du «dieselgate», révélé par les autorités américaines en septembre 2015, est le scandale de trop pour l'industrie. Premier visé, le groupe Volkswagen (12 marques) qui a équipé 11 millions de voitures avec son appareil frauduleux entre 2009 et 2015. Par la suite, General Motors est aussi accusé. En France, la direction de la concurrence soupçonne Renault, PSA et Fiat Chrysler de «tricherie aggravée», ce que les entreprises mises en cause démentent. L'image d'un moindre mal polluant en aura pris un coup… Vraiment pas de pot pour le diesel.