Le retard énorme mais bénéfique du projet algérien des énergies renouvelables
Le proverbe populaire disant que tout retard comporte quelque chose de bénéfique «koul 3atla fiha kheir» peut très bien s’appliquer à cette contribution.
En effet, l’immense retard pris par le projet algérien des énergies renouvelables (EnR) s’est paradoxalement avéré très bénéfique. Par contre, pour nombre de pays plus rapides en besogne, le fait de s’y être engagés trop hâtivement ne semble pas leur avoir été très profitable à l’instar, entre autres, du Maroc, de la Tunisie et même des Etats-Unis.
Cas de l’Algérie
Le programme national de développement des EnR a été adopté dès 2011 avec l’ambition démesurée d’installer une puissance de 22 000 Mégawatts (MW) à l’horizon 2030. Cette décision, pour le moins prématurée, a été prise alors que les technologies n’avaient pas encore atteint leur maturité, que l’expérience requise pour les mettre en œuvre était pratiquement inexistante et que le projet était loin d’être rentable. Basée, au départ, essentiellement sur le thermo-solaire CSP (Concentrated Solar Power), cette technologie consistait à concentrer le rayonnement solaire pour atteindre les hautes températures permettant d’actionner les turbines à vapeur d’une centrale électrique classique.
L’énergie thermo-solaire n’y fait que remplacer les énergies fossiles ou nucléaires comme sources de chaleur, d’où la lourdeur et le coût élevé du complexe en résultant.
Le moins que l’on puisse dire d’un tel programme est qu’il semble avoir été décidé à la hâte, dans une sorte de mimétisme avec ce qui se faisait à l’étranger. Sauf que, à l’étranger, ces projets étaient fortement subventionnés, en pariant que les progrès de la technologie et les économies d’échelle finiraient par réduire suffisamment les coûts jusqu’à atteindre la parité avec ceux de l’électricité conventionnelle.
D’ailleurs, nous avions, à maintes reprises, émis des réserves sur l’adoption prématurée et non rentable de ce projet qui dépassait à l’époque les 100 milliards dollars (soit 5 millions dollars le MW).
Nous avions alors suggéré de le reporter à plus tard en attendant que l’évolution des technologies et la réduction des coûts lui permettent de franchir le seuil de rentabilité. Etant bien entendu qu’entre-temps on pourrait entreprendre de petits projets pilotes pour se familiariser avec les technologies les plus prometteuses et se préparer à passer à la vitesse supérieure dès que la parité sera atteinte entre le kWh vert et celui de l’électricité conventionnelle.
Malgré ces réserves, le projet a été maintenu tel quel selon le timing initial. Mais, au lieu d’avancer selon les prévisions, il n’a cessé de faire du surplace en accumulant 10 ans de retard.
En fin de compte, il y a lieu de se réjouir de cette incapacité à démarrer le projet car le retard accumulé s’est avéré paradoxalement très bénéfique pour le pays au lieu de lui être préjudiciable. Les hésitations, les tergiversations, les revirements et l’absence d’une feuille de route fiable ont, en immobilisant le projet, permis d’économiser, involontairement cela s’entend, des milliards de dollars qui, autrement auraient été inutilement engloutis dans le gouffre financier d’un projet non rentable.
En 2015, après avoir constaté qu’en plus des coûts prohibitifs, la technologie du thermo-solaire était dépassée, le programme a été modifié de fond en comble avec prédominance du photovoltaïque (PV) remplaçant le thermo-solaire CSP. Effectivement, le PV domine la quasi-totalité de la production mondiale d’électricité verte avec 580 gigawatts (GW) de puissance cumulée au cours des 10 dernières années alors que le CSP, auparavant prédominant, a presque disparu avec seulement 5,5 GW soit 0,9% du total.
Là aussi, les mêmes insuffisances que précédemment ont empêché le nouveau programme de vraiment démarrer bien qu’entre-temps, en 2016, le projet ait été promu au rang de priorité nationale. Malgré ce statut, il n’a été réalisé, jusque-là, que la piètre performance de 364,3 MW c’est-à-dire seulement 1.7% des 22 000 MW du programme.
Mais il eut mieux valu qu’il ne démarre pas du tout car il s’est soldé par des surcouts considérables se répercutant très négativement sur sa rentabilité.
En effet, les 364,3 MW sont revenus à plus de 1200 milliards de dinars valant à l’époque 1,5 milliard de dollars, ce qui correspondait à plus de 4 millions de dollars le MW alors que celui-ci tournait autour de 1 million de dollars comme le prouve, plus bas, le coût du photovoltaïque de la centrale de Noor Ouazazate 4 au Maroc. Cette fois-là, encore, le retard a été bénéfique puisque seulement 1,7% d’un projet déficitaire à pu être réalisé. Qu’en aurait-il été si, entre 2011 et 2020, les choses avaient avancé selon le planning avec ce genre de coûts.
Récemment, après plusieurs modifications mineures qui n’ont d’ailleurs, pas abouti, le programme a, une nouvelle fois. été redéfini en le réduisant de 22 000 MW à 15 000 MW, en l’écourtant de 20 ans à 15 ans et en repoussant son achèvement de 2030 à 2035. Il a, de ce fait, été implicitement reconnu que l’ancien programme n’était plus tenable, mais sans pour autant que le nouveau soit plus convaincant.
Cas du Maroc
Contrairement au projet algérien, qui n’arrive pas à décoller, le projet marocain a eu le mérite de progresser à une cadence assez soutenue. Mais là s’arrête son mérite car si nous décortiquons les quatre centrales du complexe solaire de Noor Ouarzazate, nous constatons, ce qui est assez inattendu, que les trois premières centrales sont basées sur les technologies du thermo-solaire (CSP) dépassées et rarement mises en œuvre aujourd’hui à cause des coûts excessifs et de la lourdeur des installations.
C’est ainsi que le coût des 160 MW de la première centrale CSP cylindro-parabolique de Noor Ouarzazate 1, mise en service en février 2016, s’est élevé à près de 900 millions dollars soit environ 5 millions dollars le MW alors qu’actuellement le MW photovoltaïque est descendu à moins de 1 million dollars et ne cesse de décroitre. Idem pour les coûts des 200 MW de la centrale CSP cylindro-parabolique de Noor Ouarzazate 2 mise en service en janvier 2018 et des 150 MW de la centrale CSP à tour de Noor Ouarzazate 3 mise en service en août 2018 qui se sont élevés eux aussi à plus de 5 millions dollars le MW.
Now that I know how to make peanut butter cups, I want to try making chocolate and crystallized ginger.
— Aa-chan Mon Feb 08 11:32:36 +0000 2016
Les coûts élevés du CSP ont entrainé des prix d’achat du kWh équivalent à 0,16 dollars, 0,14 et 0,14 dollars pour Noor Ouarzazate 1, 2 et 3 respectivement alors que le kWh du PV a atteint actuellement des bas d’environ 0,03 dollars. Des prix aussi élevés nécessiteront un recours aux subventions pour modérer la facture des consommateurs.
Par contre, la situation s’est avérée tout autre pour les 72 MW de la centrale entièrement photovoltaïque de Noor Ouarzazate 4, mise en service en juin 2018 avec des coûts du MW réduits à un cinquième de ceux du CSP. En effet, ce projet n’est revenu qu’à un petit million de dollars le MW comparé aux 5 millions dollars le MW pour le thermo-solaire et le prix du kWh a chuté à 0,052 dollars comparé aux 0,18 dollars, 0,15 dollars et 0,16 dollars du kWh des centrales CSP précédentes.
En d’autres termes, la même quantité d’électricité photovoltaïque aurait pu être produite pour les trois premières centrales CSP du complexe de Ouarzazate avec des investissements cinq fois moins élevés et le kWh serait revenu substantiellement moins cher que ceux du thermo-solaire.
On peut donc conclure que les coûts très avantageux du photovoltaïque plaident largement en sa faveur et sonnent comme un désaveu tardif de l’option thermo-solaire.
Il est à remarquer que les entreprises ayant réalisé ou accompagné le complexe de Ouarzazate sont connues pour être spécialisées essentiellement dans le thermo-solaire. Elles n’avaient peut-être pas d’autre choix que celui de promouvoir leur produit.Toujours est-il que, malgré ses coûts et sa lourdeur, l’option du thermo-solaire continue à être retenue, au moins en partie, pour les futurs projets solaires du Maroc.
A cela s’ajoute le paradoxe de la centrale dite hybride de Ain Béni Mathar présentée comme étant un projet solaire innovateur. En réalité, près de 97% de son électricité est produite en consommant du gaz, ce qui est en complète contradiction avec un projet solaire dont le but est de l’économiser au lieu de le dissiper de la sorte, surtout pour un pays qui l’importe. En réalité, il s’agit d’une centrale à gaz classique cachée derrière un camouflage thermo-solaire.
On peut dire la même chose pour la centrale hybride de Hassi R’mel en Algérie. En fait, quel que soit l’angle sous lequel le problème est abordé, aucune raison valable ne justifie ce genre d’hybridation.
Cas de la Tunisie
Une puissance de 4500 MW est prévue par le projet TuNur dans le sud-ouest du pays, plus précisément à Rjim Maâtoug. Basée là encore sur le thermo-solaire CSP, elle est destinée en grande partie à alimenter l’Europe en électricité verte. Dans une première phase, il est prévu d’y développer une centrale thermo-solaire CSP à tour de 250 MW reliée à l’île de Malte grâce à une ligne sous-marine en courant continu haute tension (CCHT).
Le coût des 250 premiers MW a été estimé à 1,6 milliard d’euros (environ 2 milliards de dollars) soit plus de 6 millions dollars le MW. Donc un coût encore plus élevé que le coût déjà excessif de la centrale de même nature (CSP à tour) de Noor Ouarzazate 3 qui est revenu à 5 millions dollars le MW alors que, répétons-le, le PV a diminué à moins de 1 million dollars.
Se pose alors la question de savoir pourquoi s’acharne-t-on à privilégier la technologie lourde et très couteuse du thermo-solaire CSP aux dépens du photovoltaïque bien moins couteux et plus simple d’utilisation ?
Une autre question concerne l’argument avancé pour justifier l’exportation d’électricité verte vers l’Europe, argument selon lequel le rayonnement solaire dans le sud tunisien est plus de deux fois celui de l’Europe et donc peut produire plus du double de l’électricité pour le même investissement. Il est ainsi espéré que cette productivité accrue d’électricité compensera le coût d’une ligne électrique sous-marine pour son acheminement rentable vers l’Europe.
Mais cela n’est pas vrai pour Malte, une île très ensoleillée de par sa position bien au sud de la Sicile et de Tunis. De ce fait, une centrale solaire, implantée sur l’ile, produirait presqu’autant d’électricité qu’une centrale implantée dans le Sud tunisien. Cette alternative serait bien plus rentable car elle permettrait d’éviter la pose d’une couteuse ligne électrique entre la Tunisie et Malte tout en bénéficiant de l’option photovoltaïque moins coûteuse. D’où l’intérêt économique plus que discutable de cette première phase du projet vers Malte.
Cas des Etats-unis
La mise en œuvre de projets solaires obsolètes n’est pas seulement l’apanage de pays en voie de développement à l’instar du Maroc ou de l’Algérie, mais concerne aussi des pays à la pointe du développement comme les USA.
Ainsi, l’exemple de la centrale solaire de Crescent Dunes au Nevada, considérée comme étant alors la plus grande en son genre avec une puissance de 110 MW, est particulièrement édifiant. D’un coût de 1 milliard de dollars, c’est-à-dire plus de 9 millions dollars le MW, cette centrale, qualifiée initialement de futuriste, a vite déçu et s’est avérée dépassée avant même d’être mise en pleine exploitation.
La principale raison est que, entreprise entre 2011 et 2015, elle a été basée sur le thermo-solaire CSP à tour, coûteux et non rentable. Au moment de sa mise en service en 2015, elle s’est trouvée dépassée par le photovoltaïque devenu plus attrayant car plus simple, plus versatile et surtout moins onéreux.
C’est ce qu’a constaté Google, un des investisseurs dans le projet, qui a vite fait de s’en retirer pendant qu’il était encore temps. A noter que la centrale CSP à tour de Crescent Dunes est similaire à celle de de Noor Ouarzazate 3.
D’autres projets américains ont eu le temps, in extremis, de passer du thermo-solaire au photovoltaïque. Mais d’autres n’ont pu le faire, comme par exemple Crescent Dunes, qui a fini par être fermé et qui sera peut-être mise en vente sous forme de pièces détachées.
Par Mohamed Terkmani,ancien directeur à Sonatrach
Post Views: 4 334 Advertisements