Sue Lyon, une vie hantée par Lolita
Une sucette dans la bouche, des lunettes rouges en forme de cœur. Depuis près de soixante ans, Sue Lyon est synonyme de Lolita, et son image est associée à l’affiche du film de Stanley Kubrick, sorti en 1962. L’actrice américaine a beau avoir joué dans une vingtaine de films, Lolita lui colle à la peau. Il a été sa plus grande réussite, lui a valu un Golden Globe de la révélation féminine.
A 14 ans, elle décroche le rôle presque par hasard. Elle vit à Los Angeles et travaille alors comme mannequin pour subvenir aux besoins de sa famille. Elle enchaîne les castings, et a vu passer une annonce pour le film. Elle n’en attend rien, à la manière d’un joueur de Loto distrait qui soudain gagne le gros lot.
Stanley Kubrick l’avait déjà repérée dans une émission de télévision, le « Loretta Young Show ». Parmi 800 autres jeunes candidates, il la retient pour incarner une jeune fille victime d’une relation pédophile avec un professeur de littérature française. Mais, en guise de gros lot, Lolita, sa polémique et les conséquences du succès marqueront, pour l’actrice, le début d’une lente destruction, d’un destin brisé par le cinéma.
A l’heure où se pose de manière accrue la question des enfants acteurs dans des rôles sexuellement marqués, le parcours de l’actrice interroge plus que jamais. En janvier, au festival du film de Sundance, dans l’Utah, le film The Most Beautiful Boy in the World (« Le plus beau garçon du monde »), réalisé par Kristina Lindström et Kristian Petri, a montré comment Mort à Venise (1971), de Luchino Visconti, avait ruiné la vie du Suédois Björn Andrésen. Ce dernier, âgé de 15 ans lors du tournage, interprétait l’adolescent qui trouble par sa beauté le vieux compositeur joué par Dirk Bogarde.
De son adolescence jusqu’à son décès en 2019, à 73 ans, Sue Lyon a, elle aussi, enchaîné les histoires chaotiques, sur les plans professionnel et privé. Son état psychique n’a rien arrangé. « Ma mère a été diagnostiquée bipolaire sur le tard, elle l’était en fait depuis la fin de l’adolescence », témoigne sa fille unique, Nona Harrison, 49 ans. Sue Lyon n’avait pas les épaules assez solides pour devenir une icône.
Imposée pour le rôle-titre par Kubrick
Pour le rôle de Lolita, c’est une autre comédienne qui était pressentie, au départ : Tuesday Weld. Issue du sérail hollywoodien, actrice de télévision et de cinéma – elle est apparue, à 13 ans, dans Le Faux Coupable (1956) d’Alfred Hitchcock –, elle a davantage d’expérience que Sue Lyon. Stanley Kubrick avait été séduit par cette jolie blonde de 17 ans. Il suffit de la voir plus tard dans un de ses premiers personnages marquants, une jeune femme capable de fendre la carapace du joueur de poker froid et obsessionnel qu’interprète Steve McQueen, dans Le Kid de Cincinnati (1965), pour imaginer ce que Kubrick a en tête : une Lolita à la sexualité à fleur de peau.
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