Marché stratégique, défi écologique… Comprendre les terres rares en 5 questions
Quasiment inconnues jusque dans les années 1970, les terres rares sont aujourd'hui le nouvel « or noir ». De la voiture électrique au smartphone, en passant par les éoliennes, ces métaux entrent aujourd'hui dans le processus de fabrication de nombreux produits de haute technologie.
Comme le pétrole, cette ressource convoitée est au centre d'enjeux géopolitiques, la Chine concentrant la majorité de sa production. Une production d'ailleurs loin d'être neutre sur le plan environnemental.
1. Que sont les terres rares ?
Les terres rares sont « une catégorie de métaux que l'on appelle aussi les lanthanides », explique Michel Latroche, directeur de recherche au CNRS à l'institut de chimie et de matériaux de Paris Est. « Dans le tableau périodique des éléments, cela correspond à toute la série à partir du lanthane. On y associe aussi deux autres : le scandium et l'yttrium. Ce qui donne 17 métaux au total ».
2. Pourquoi sont-elles recherchées ?
Depuis leur découverte, qui s'est étalée entre la fin du XVIIIe siècle et la première moitié du XXe siècle, les terres rares « étaient plutôt des curiosités de laboratoire », raconte Michel Latroche.
C'est à partir des années 1970 que leurs propriétés physiques exceptionnelles sont exploitées, notamment leur puissant pouvoir magnétique. « Elles ont complètement révolutionné le monde des aimants », souligne Michel Latroche. Cela en fait des éléments très demandés dans de nombreux appareils électroniques : haut-parleurs, appareils d'imagerie médicale ou encore disques durs d'ordinateurs.
« Dans les éoliennes, on trouve aussi plusieurs centaines de kilos de terres rares » sous forme d'aimants permanents, ajoute le chercheur. Ces mêmes aimants (faits d'un alliage néodyme-fer-bore) sont utilisés pour optimiser les performances des moteurs de véhicules électriques.
Toujours dans les voitures électriques, une autre propriété des terres rares est utilisée pour concevoir des batteries. « Les batteries NiMH, pour 'nickel-métal-hydrure' sont constituées de plusieurs kilos de terres rares, à la différence des batteries lithium-ion », explique Michel Latroche.
Les terres rares servent aussi à la dépollution automobile. On en retrouve, aux côtés d'autres métaux, dans les pots catalytiques des voitures. « Il n'y a que le cerium qui peut assurer ce rôle », précise le scientifique. Au cours du cracking du pétrole brut, les terres rares interviennent aussi sous forme de catalyseur.
« Un autre aspect des terres rares permet d'avoir des lasers dont on peut très finement ajuster les longueurs d'onde d'émission, et donc la couleur souhaitée », explique encore Michel Latroche. C'est pour cette capacité à créer de belles nuances que l'on retrouve aussi ces métaux dans les écrans des smartphones ou les télévisions.
« D'autres applications sont possibles en ophtalmologie, en découpage, en radiographie médicale, en spectacle laser… », détaille le scientifique. Dans le secteur militaire, les terres rares sont aussi prisées pour améliorer les systèmes de guidage de missile ou les capacités de détection des sonars. Enfin, les terres rares sont employées sous forme de poudre de polissage du verre, ou encore pour capter des neutrons dans les cycles nucléaires, énumère le chercheur.
3. Où en trouve-t-on ?
Contrairement aux métaux rares comme le platine ou l'iridium, les terres rares « ne sont pas si rares que ça », explique Michel Latroche. « C'est aussi abondant dans la croûte terrestre que le nickel ou le cobalt ». En 2017, les réserves étaient estimées à 120 millions de tonnes, tous oxydes de terres rares confondus.
En revanche, les gisements suffisamment importants pour être économiquement exploitables, assez peu nombreux, sont éparpillés sur la planète. « Environ la moitié des réserves se trouvent en Chine, qui est clairement avantagée en ressources », note le chercheur.
La Chine est aussi le premier producteur mondial, pour des raisons géologiques, mais surtout géopolitiques. « L'extraction des terres rares est un processus coûteux et polluant. Jusque dans les années 1990, les Etats-Unis avaient quasiment le monopole de la production, puis ils ont laissé ce marché à la Chine », analyse-t-il. « Pékin subventionne largement cette industrie, ce qui fait que personne ne peut les concurrencer aujourd'hui ».
4. Pourquoi ce marché est-il si stratégique ?
En vingt ans, la consommation mondiale de terres rares a plus que doublé, selon le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). Dans un monde toujours plus axé sur le numérique et le bas-carbone, nul doute que cette tendance devrait se poursuivre dans les prochaines années.
Sur ce marché stratégique, concentré entre les mains d'un seul pays, les prix peuvent vite flamber. C'est ce qui s'est passé en 2010, quand la Chine a mis en place des mesures de contrôle à l'exportation très restrictives sous forme de permis, de taxes ou de quotas, qui ont considérablement limité l'offre pour la consommation industrielle étrangère. Après une plainte de l'UE, des Etats-Unis et du Japon, l'OMC a forcé le pays à mettre fin à cette politique aux alentours de 2015.
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Le choc psychologique de cette crise a poussé plusieurs pays à ouvrir (ou rouvrir) des sites d'extraction sur leur territoire pour ne plus dépendre de la Chine. C'est le cas des Etats-Unis, qui ont récemment relancé leur production au sein de l'important gisement de Mountain Pass en Californie, qui avait mis la clé sous la porte au début des années 2000. L'Australie a fait de même avec la mine du Mount Weld.
Malgré tout, l'Empire du Milieu garde la première place en matière d'extraction et surtout sur le plan de la transformation grâce à un tissu industriel étoffé sur toute la chaîne de production et une rentabilité très élevée, note le BRGM. Ce qui suscite régulièrement de nouveaux bras de fer commerciaux entre Pékin et Washington.
5. Quel est l'impact de l'exploitation des terres rares sur l'environnement ?
Le processus d'extraction et de raffinage des terres rares est extrêmement toxique et a des incidences directes sur la santé humaine et l'environnement. « Il faut extraire le minerai, le traiter et séparer les métaux des terres rares. Pour cela, on utilise de grosses quantités de solvants, dont certains sont toxiques », rappelle Michel Latroche.
« Soit vous êtes vertueux et vous le traitez jusqu'à ce qu'ils deviennent inoffensifs, soit vous êtes moins vertueux et vous les rejetez dans la nature… », résume-t-il. Autre problème : les gisements contiennent très souvent des éléments radioactifs.
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« Traditionnellement laxiste » sur le plan environnemental, la Chine s'est décidée à remanier ses normes et a ouvert la chasse aux exploitations minières illégales, « sous la pression de l'opinion publique » et « face à cette crise que le pays ne peut plus ignorer », souligne un rapport de l'Ifri de 2019. La production d'une tonne de terres rares à Baotou, en Mongolie intérieure, produit simultanément 75.000 litres d'eaux usées acides et une tonne de résidus radioactifs.
« Pour certaines terres rares, des recherches sont en cours pour trouver des substituts pour les remplacer. Il y a aussi la possibilité d'en recycler. Les Japonais le font avec toutes leurs batteries NiMH issues de leurs Toyota ou leurs Honda », indique Michel Latroche. Mais, pour le chercheur, il ne faut pas se leurrer, « tant qu'il y aura des terres rares bon marché personne ne va s'occuper des substituts ! »