Couteaux Laguiole : la demande d'Identification Géographique sème la discorde entre les fabricants français
Le célèbre couteau à l'abeille ne cesse de faire parler de lui. Reconnu dans le monde entier, le Laguiole continue sa bataille pour l'obtention d'une Identification Géographique (IG). Garantie d'un savoir-faire et de l'origine de fabrication, le précieux label des produits de l'artisanat et de l'industrie permettrait entre autres aux couteliers français de protéger l'exportation de Laguiole contre une fabrication massive et trompeuse en provenance de Chine et du Pakistan.
Mais la reconnaissance du couteau Laguiole sous label d'État comporte également des enjeux au niveau local. Une première demande d'IG déposée au début de l'année 2021 par des fabricants du village de Laguiole, en Aveyron, suscite l'inquiétude des fabricants situés hors de la région. À Thiers, dans le Puy-de-Dôme, on revendique également la fabrication ancestrale du célèbre couteau et ne pas être intégré à l'identification géographique aurait un impact conséquent pour les coutelleries locales. Les deux villes n'ont pas encore accordé leurs lames sur la zone d'Identification Géographique à certifier.
À lire aussi«Squid Game» : des couteaux Laguiole repérés dans la série à succès de Netflix
Depuis que la Loi Consommation de 2014 permet de protéger les produits de l'artisanat français en créant une Indication Géographique, les entreprises peuvent mettre en évidence un lieu ou une région de production précis et ainsi faire valoir la précieuse qualité de leurs produits. C'est chose faite pour le syndicat des fabricants aveyronnais du couteau de Laguiole qui rassemble sept couteliers du plateau de l'Aubrac, dans le nord de l'Aveyron. Après une première demande d' IG adressée à l'Institut national de la propriété industrielle (INPI) en début d'année, le syndicat attend vers le 11 novembre les résultats de la deuxième enquête publique les rapprochant de quelques mois d'une réponse définitive de l'INPI sur l'obtention du précieux sésame. Mais à deux heures de route de Laguiole, à Thiers, en Auvergne, un autre syndicat souhaite porter sa voix.
Si la petite ville de Thiers ne porte pas le nom du célèbre couteau, elle n'en est pas moins la capitale mondiale de la coutellerie, elle aussi fabricante ancestrale du fameux couteau qui pèse dans la balance des fabricants locaux. Du côté du syndicat du Couteau Laguiole Aubrac Auvergne (CLAA) représentant une quarantaine de coutelleries, la demande d'identification géographique des fabricants aveyronnais fait réagir. À l'approche du résultat de l'enquête publique de l'INPI, la CLAA est sur le point de déposer sa propre demande d'identification géographique, mais avec une nuance, elle souhaite faire reconnaître une fabrication commune aux zones de Laguiole et de Thiers.
L'emploi comme enjeu
«Nous fabriquons le même produit», insiste Aubry Verdier, coutelier de Thiers et président du syndicat de la CLAA. Pour le président du syndicat, il ne fait aucun doute que la demande de reconnaissance de ce savoir-faire doit être commune aux deux villes. Alors que la coutellerie ne représente pas moins de 800 emplois dans le bassin thiernois, Aubry Verdier rappelle que «l'esprit de la loi n'est pas là pour mettre en opposition des entreprises qui ont participé à la notoriété du produit mais pour informer le consommateur, valoriser un produit artisanal ou industriel et développer l'emploi local». D'après le coutelier, la production du Laguiole ne représente pas moins de 40 à 80% du chiffre d'affaires de la moitié des entreprises adhérentes au syndicat. Ici, l'enjeu est bien «l'emploi».
À lire aussiLe «made in France» a-t-il pris «un sacré coup» sous Emmanuel Macron ?
Tandis que les Thiernois revendiquent la fabrication du Laguiole depuis la seconde moitié du XIXe siècle et fournissent certaines coutelleries aveyronnaises, le président du syndicat de Laguiole Honoré Durand, voient les choses autrement. Honoré Durand défend l'idée «d'une relocalisation de la production à conserver dans sa ruralité». À Laguiole, la lame d'acier est aussi l'âme du village. Et une reconnaissance géographique comme gage de qualité amènerait les coutelleries locales à se fournir exclusivement dans la zone délimitée par le label. Donc à booster la production locale. «Ce qui fait le couteau c'est bien la lame», défend Honoré Durand pour qui la demande commune d'identification géographique serait «une aberration totale». «Au même titre qu'une Appellation d'Origine Protégée, nous demandons une reconnaissance locale. Comme pour le champagne, il n'y a pas de raison de reconnaître un vigneron qui produit à 100 mètres au-delà de la zone d'appellation», tranche le président et responsable de la coutellerie Durand. A Thiers, l'espoir d'une identification commune suit son cours et une fois le dossier déposé par la CLAA, le syndicat estime à entre 9 et 16 mois de délais pour peut-être obtenir le label. L'affaire n'est donc pas terminée.
À VOIR AUSSI - La coutellerie Laguiole récupérait son nom, le 22 octobre 2014)