"Guerre des conteneurs" : produits indisponibles, délais allongés on vous explique la pénurie qui paralyse le commerce mondial
Des articles non disponibles chez Ikea ? Du vin destiné à l'export bloqué dans les châteaux en France ? Une pénurie annoncée de certains jouets à Noël ? Il y a une origine commune à tous ces dysfonctionnements : le manque de conteneurs, ces immenses boîtes métalliques qui parcourent les mers du monde sur les porte-conteneurs, entre l'Asie et l'Occident. Que s'est-il passé depuis l'arrêt de "l'usine du monde" en Chine début 2020 avec le Covid-19 ? Pourquoi sommes-nous encore loin d'un retour à la normale ? La Dépêche vous explique.
Mars 2020, le Covid-19 fait rage, de nombreux pays se confinent dans le monde. En Asie, les usines s'arrêtent brutalement ce qui stoppe net le trafic maritime mondial. Au printemps 2020, la consommation reprend fortement aux Etats-Unis, même phénomène en Europe en été. Sauf que de nombreux porte-conteneurs sont toujours en cale et les conteneurs sont dispersés dans le monde. Quand le trafic maritime reprend, les compagnies maritimes augmentent leurs capacités de transport mais ce n'est pas suffisant pour faire face à la forte hausse de la consommation avec l'explosion du e-commerce.
Pendant ce temps en Chine, les marchandises à expédier s'accumulent et forment un goulot d'étranglement. Quand elles arrivent finalement en Europe ou aux Etats-Unis, des pays sont toujours confinés ou au ralenti. "Les conteneurs ont commencé à manquer et les entrepôts se sont vite retrouvés saturés, un phénomène qui a créé de la congestion portuaire", se souvient Irwin Lefebvre, responsable des achats de produits maritimes chez Bolloré Logistics, entreprise spécialisée notamment dans la commission de transports. "Vous aviez des conteneurs un peu partout dans le monde mais pas là où il le fallait c'est-à-dire en Chine" explique-t-il à La Dépêche.
Et pour ne rien arranger, le moindre événement aggrave la situation. En mars, le bateau "Evergreen" a totalement bloqué le canal de Suez pendant six jours. En juin, le port de Shenzhen en Chine est resté fermé un mois à cause de cinq cas de Covid-19. Fin août, c'est le port chinois de Ningbo-Zhoushan qui a fermé plusieurs semaines pour un cas de coronavirus. Sans oublier plusieurs typhons dans la région de Shangaï.
A lire aussi :Comment le blocage du canal de Suez perturbe le transport maritime mondial
La chaîne logistique est toujours fortement ralentie. "50% de la marchandise n'arrive toujours pas à être expédiée car il n'y a pas de place sur les bateaux", affirme Nicolas Sépulchre de Condé, directeur Europe du logisticien In2log, basé en Asie. Plus de 60 porte-conteneurs attendent d'être déchargés au large du port de Long Beach à Los Angeles, aux Etats-Unis. En Europe, seuls 35 % des bateaux arrivent à l'heure et au jour prévu. En 2019, c'était 85 %. Les principaux ports français, Marseille-Fos, le Havre et Dunkerque, sont aussi touchés.
Un casse-tête à gérer au quotidien. "Nous sommes confrontés à des reports hebdomadaires de départs de navires. En moyenne, les navires ont une dizaine de jours de retard. Cela concerne toutes les régions du monde. Il n'y a plus aucune fiabilité de service aujourd'hui. Toute la chaîne logistique en subit les conséquences et se trouve complètement désorganisée", raconte, amer, Irwin Lefebvre, responsable des achats de produits maritimes chez Bolloré Logistics.
Avant le Covid-19, "entre le moment où un conteneur était chargé en Chine, allait aux Etats-Unis et revenait vide en Chine, il mettait deux mois et demi à trois mois pour faire cette boucle, mais aujourd'hui ce même conteneur met cinq mois et demi à six mois", explique Nicolas Sépulchre de Condé.
La rareté des conteneurs a fait littéralement exploser les tarifs. En 2019, le transport d'un conteneur de 40 pieds entre Shangaï et les Etats-Unis coûtait environ 2 000 dollars en tarif public non négocié (marché "spot"). Aujourd'hui il faut débourser... 15 000 dollars ! Les prix ont été multipliés par sept. La facture du transport s'alourdit de plusieurs dizaines de millions de dollars.
Longtemps moribond, le transport maritime a renoué avec le succès. Après la faillite de l'armateur sud-coréen Hanjin shipping en 2016, les leaders du marché sont le français CMA-CGM, le danois Maersk, le suisse MSC, le chinois Cosco ou l'allemand Hapag-Lloyd. Moins nombreuses, les compagnies maritimes sont en position de force.
Florent Noblet est le délégué général adjoint de TLF (Transport et logistique de France). Il observe "les pratiques abusives des armateurs" en écho à l'audit initié cet été par l'administration Biden. Il s'explique : "En complément du taux de fret qui est la conséquence d'une offre et d'une demande, des surcharges et des surcoûts importants sont facturés par les compagnies maritimes aux clients et de façon rarement justifiée. Ils vont facturer 1 000 euros en plus par conteneur en raison de la congestion portuaire, ou à cause du Covid-19". Des importateurs-exportateurs français ont perdu des marchés en raison de ces tarifs depuis plusieurs mois.
Face à cette inflation des prix, l'armateur français CMA-CGM a décidé le 9 septembre de geler ses taux de fret "spot" pour ses clients jusqu'au 1er février 2022. Le groupe a augmenté sa flotte mondiale de 13,6 % entre juin 2020 et juin 2021 et a fourni à ses clients 780 000 nouveaux conteneurs depuis 15 mois.
La phénoménale hausse du coût du transport va se répercuter sur les consommateurs. Nicolas Sépulchre de Condé, directeur Europe du logisticien In2log, prend l'exemple des canapés. "Vous mettez trente canapés dans un conteneur. Le coût de transport d'un canapé, avant, était de 70 dollars, et maintenant, c'est environ 500 dollars. La problématique des distributeurs va être : comment éviter de perdre de l'argent sur chaque canapé vendu ?"
Irwin Lefebvre, de chez Bolloré Logistics, va dans le même sens. "Quand vous avez 10 000 paires de chaussures dans un conteneur, globalement, la hausse pour le client sera de 1 euros par paire. Quelque part, c'est acceptable pour le consommateur. Mais quand vous mettez cinquante frigos dans un conteneur, l'impact n'est pas le même. On parle de 300 à 400 dollars de plus par frigo. Qui va payer ? Et bien, vous et moi. Il valait mieux acheter un frigo il y a un an".
Tous les produits importés connaissent la même inflation : déco de la maison, électroménager, jouets, outillage, climatisation, etc. Pour les jouets de Noël, outre la hausse des prix, se pose aussi la question de leur livraison en temps et en heure dans les rayons.
"Tant que la demande mondiale est forte, et tant qu'il n'y a pas l'arrivée de nouveaux bateaux sur le marché et de nouveaux conteneurs, ça va continuer à être désorganisé", explique Florent Noblet, le délégué général adjoint de TLF. Ces nouveaux navires ne sont pas attendus avant 2023/2024. Il s'attend à une année 2022 encore très difficile. Nicolas Sépulchre de Condé, directeur Europe du logisticien In2log, table sur un retour à "un marché plus stable" en février 2022 après le Nouvel an chinois. Irwin Lefebvre, pour Bolloré Logistics, s'attend lui aussi à une amélioration en 2022, plutôt au deuxième ou au troisième trimestre. À condition que la situation sanitaire ne s'aggrave pas de nouveau dans le monde.