Pour faire avancer la transition, l’énergie citoyenne
Pour les pays qui ont fait le choix de sortir du nucléaire ou de ne jamais y entrer, l’urgence de décarboner la production d’électricité impose un essor d’autant plus rapide des renouvelables. En l’occurrence l’éolien et le photovoltaïque. En effet, ces sources présentent à la fois les plus grands gisements et des coûts réalistes. Par ailleurs, leurs caractéristiques sont telles que toutes deux sont nécessaires (une éolienne peut produire la nuit, pas un panneau solaire). Le champ des contraintes étant clair, il est plus simple de bâtir du consensus, de répondre aux oppositions et de se donner les moyens de mettre en œuvre une stratégie « sans regret ».
Contradictions à la française
A l’inverse, dans un pays comme la France, qui s’est fixé en 2015 pour objectif de ramener à 50 % la part du nucléaire dans sa consommation d’électricité, et implicitement de conserver cette proportion indéfiniment, les choses sont très compliquées. Si l’on accroît fortement des renouvelables dont la production n’est pas pilotable tout en gardant beaucoup de centrales nucléaires, alors celles-ci doivent réduire leur production quand il y a du soleil et du vent et elles perdent de l’argent.
Si, inversement, on veut préserver au maximum la production nucléaire, cela implique d’augmenter d’autant les renouvelables pour rester dans l’objectif des 50 %, et donc à terme une surproduction d’électricité. Dans ce cas, il faut éviter de trop économiser l’énergie (et continuer à chauffer des logements mal isolés avec des convecteurs), voire espérer que la France abreuve ses voisins avec ses excédents, une vision bien illusoire.
« En France, cela fait vingt ans qu’on est dans le “en même temps”. En même temps le nucléaire, en même temps l’efficacité énergétique, en même temps les énergies renouvelables. C’est un discours plein de contradictions. Résultat, on dit qu’on veut faire des renouvelables, tout en ne le faisant pas vraiment », résume Andreas Rüdinger, chercheur associé à l’Iddri.
Ces contradictions expliquent largement pourquoi la France n’a atteint que 19 % d’énergie renouvelable dans sa consommation d’énergie en 2020, au lieu des 23 % fixés à cette date dans le cadre européen. En 2030, l’Hexagone vise 33 %, ce qui appelle de gros efforts tant du côté de la maîtrise de la demande que de l’offre d’énergie. En ce qui concerne la production d’électricité, la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) prévoit à cet horizon un quadruplement du photovoltaïque (essentiellement via des centrales au sol, dont les coûts sont bien plus faibles que les installations en toiture) et une multiplication par 2,5 de l’éolien.
Cohérence et détermination
Un tel déploiement ne sera pas aisé. Il passe en premier lieu par une mise en cohérence des trajectoires de demande d’électricité et, en face, d’offre dans chaque filière de production. Avec la PPE, ce point est à peu près acquis jusqu’en 2030, mais au-delà, la vision est très floue, ce qui est préjudiciable aux décisions d’investissement qui ont besoin de lisibilité à plus long terme.
Renouvelables : la France mauvaise élèveEcart en 2019 (en points de %) par rapport à l’objectif à atteindre en 2020 d’énergies renouvelables dans la consommation énergétique finale (entre parenthèses, en %) Source : Eurostat Renouvelables : la France mauvaise élèveUne fois les objectifs clairement définis, et c’est tout l’enjeu du travail prospectif à l’horizon 2050 réalisé par RTE (Réseau de transport d’électricité) et dont le rapport est attendu cet automne, leur mise en œuvre nécessite une détermination constante des pouvoirs publics. Elle fait trop souvent défaut. Cela passe par un cadre facilitateur. Aujourd’hui, par exemple, les contraintes imposées par l’armée interdisent l’implantation d’éoliennes dans une large partie du territoire. Et les modalités du soutien public sont telles que les développeurs ne peuvent aller que dans les zones les plus ventées. Le résultat est une concentration des champs d’éoliennes qui finit par poser des problèmes d’acceptabilité.
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Outre un cadre administratif permettant une meilleure répartition spatiale des projets, leur acceptabilité dépend aussi de leur appropriation par les habitants et les collectivités. D’autant que si l’opposition aux projets est aujourd’hui le fait d’une minorité de personnes, ce ne sera plus forcément le cas demain avec des éoliennes et des fermes solaires plus visibles dans le paysage.
Les projets citoyens sous-développés
Sur ce point également, le bât blesse. Il existe en France deux grands modes d’implication des habitants : les projets citoyens et les projets avec simple participation au financement. Avec les premiers, la décision, de la conception à la répartition des bénéfices, est sous le contrôle des associations et des collectivités qui en sont à l’initiative. Les 220 projets labellisés et soutenus par l’association Energie partagée correspondent ainsi à un cahier des charges exigeant en matière de gouvernance et de recours aux prestataires locaux. Mais bien que les retombées économiques locales soient bien plus élevées que pour les projets classiques, les projets citoyens représentent en France une part infime des capacités installées1. Ils réclament beaucoup d’engagement bénévole, sont plus petits, moins rentables… mais sont aussi bien mal encouragés par l’action publique.
Marion Richard, responsable de l’animation nationale à Energie partagée, pointe en particulier le système des appels d’offres2. Ce mécanisme s’est imposé en Europe à partir de 2017 pour attribuer les aides et a remplacé le principe du guichet unique3 qui ne subsiste que pour les installations de très faible puissance : « Cette mise en concurrence de tous les acteurs, quels que soient leur taille et leur objectif, favorise les grandes entreprises, qui peuvent proposer les plus bas prix de vente de leur électricité, observe Marion Richard. La minimisation du soutien public doit-elle se faire à n’importe quel prix ? »
L’étroitesse du guichet unique limite ainsi l’essor des projets citoyens. D’autres problèmes se posent, comme la concentration des projets photovoltaïques dans le Sud, là où ils trouvent plus facilement une rentabilité. Il ne manque pourtant pas de candidats au nord de la Loire ! Le gouvernement vient toutefois de relever les plafonds permettant à une installation solaire de bénéficier du guichet unique. Cet effort va dans le bon sens, mais reste timide. Surtout par rapport à l’ambition d’Energie partagée : 15 % des capacités installées maîtrisées par des acteurs locaux en 2030 (contre 42 % aujourd’hui en Allemagne).
Le soutien public a en revanche été important pour le « financement participatif », sous forme d’un bonus attribué depuis 2015 aux développeurs si 40 % de l’investissement provient de particuliers ou de collectivités. L’épargne collectée via les plates-formes de crowdfunding a décuplé, passant de 11 millions d’euros en 2016 à 102 millions en 2020. Résultat, 36 % des projets lauréats des appels d’offres étaient devenus « participatifs » dès 2019. Une participation qui se limite en réalité à un placement d’épargne dans des projets déjà totalement bouclés. « Même si les citoyens obtiennent des droits de vote, ils ne sont impliqués qu’à partir de la mise en service du projet, soit trop tardivement pour vraiment peser sur les choix stratégiques », indique ainsi Andreas Rüdinger.
Bien sûr, tous n’ont pas vocation à s’engager activement dans le montage de projets et la simple participation financière est un modèle qui a toute sa place. Mais, insiste le chercheur, il faut que cette participation puisse se traduire, comme dans le modèle coopératif allemand, par un réel codéveloppement des projets. Ce dont les grands acteurs français des renouvelables ne veulent pas, sauf très rares exceptions. Face aux oppositions montantes sur le terrain, ils seront peut-être obligés, s’ils veulent voir leurs projets sortir de terre, de mettre un peu d’eau dans leur vin et de mieux partager avec les acteurs locaux pouvoir de décision… et bénéfices.
Luc-sur-Aude : du solaire citoyen dans la garriguePrès de Carcassonne,le parc solaire citoyende Luc-sur-Aude produit,sur un demi-hectare, presque autant d’électricité que n’en consomment les 250 habitants de cette commune.Au milieu des années 2000, des entreprises étaient venues dans le coin, à la recherchede foncier pour leurs projets photovoltaïques, sans tropse soucier des besoins locaux. EDF voulait 30 hectares, sinon rien. La commune n’a pas donné suite. En 2015, un appel d’offres de la région pourdes parcs citoyens changela donne : pour un euro citoyen investi, un euro de subvention. « L’idée de réaliser un parc ajusté à nos besoins et financé par des gens d’ici nous plaisait », raconte Jean-Claude Pons, le maire.
Le premier électron est sorti de la garrigue le 1er décembre 2018. Le travail d’animationréalisé par la communeet l’engagement du maître d’œuvre, l’entreprise Soleildu Midi, ont été des clés du succès. A joué aussi l’argument financier. Les 100 000 eurosde la région ainsi que le tarif d’achat avantageux (10 cts/kWh) garanti par Enercoop, fournisseur d’électricité verte, offrent une bonne rentabilitéà cet investissement de 337 000 euros. Les dividendes annoncés sont de l’ordrede 5 %. Mieux qu’un Livret A, sachant que l’on peut revendre ses parts aisément, la commune s’engageant à les racheter en dernier ressort.
Ce type d’initiative peine hélas à se répliquer. Les niveauxde rémunération garantis dans le cadre des appels d’offres sont en général insuffisants pour de si petites installations, mêmesi leurs coûts de production sont intéressants (6 cts/kWhà Luc-sur-Aude). Ces structures sont en outre pénaliséespar des coûts de raccordement au réseau élevés au regarddes volumes produits.
Luc-sur-Aude : du solaire citoyen dans la garriguePrès de Carcassonne,le parc solaire citoyende Luc-sur-Aude produit,sur un demi-hectare, presque autant d’électricité que n’en consomment les 250 habitants de cette commune.Au milieu des années 2000, des entreprises étaient venues dans le coin, à la recherchede foncier pour leurs projets photovoltaïques, sans tropse soucier des besoins locaux. EDF voulait 30 hectares, sinon rien. La commune n’a pas donné suite. En 2015, un appel d’offres de la région pourdes parcs citoyens changela donne : pour un euro citoyen investi, un euro de subvention. « L’idée de réaliser un parc ajusté à nos besoins et financé par des gens d’ici nous plaisait », raconte Jean-Claude Pons, le maire.
Le premier électron est sorti de la garrigue le 1er décembre 2018. Le travail d’animationréalisé par la communeet l’engagement du maître d’œuvre, l’entreprise Soleildu Midi, ont été des clés du succès. A joué aussi l’argument financier. Les 100 000 eurosde la région ainsi que le tarif d’achat avantageux (10 cts/kWh) garanti par Enercoop, fournisseur d’électricité verte, offrent une bonne rentabilitéà cet investissement de 337 000 euros. Les dividendes annoncés sont de l’ordrede 5 %. Mieux qu’un Livret A, sachant que l’on peut revendre ses parts aisément, la commune s’engageant à les racheter en dernier ressort.
Ce type d’initiative peine hélas à se répliquer. Les niveauxde rémunération garantis dans le cadre des appels d’offres sont en général insuffisants pour de si petites installations, mêmesi leurs coûts de production sont intéressants (6 cts/kWhà Luc-sur-Aude). Ces structures sont en outre pénaliséespar des coûts de raccordement au réseau élevés au regarddes volumes produits.
Cet article est publié en partenariat avec la Fondation Heinrich-Böll Stiftung.