Velux, une fenêtre sur la maison du futur | Les Echos
En soixante-quinze ans, il est devenu familier des logements neufs ou anciens. Au point d'être entré dans le vocabulaire courant: «le» Velux désigne la fenêtre qui, posée sur un toit, éclaire le grenier et rend possible l'aménagement des combles. Bien installée dans ce créneau pérenne mais assez étroit, l'entreprise danoise qui lui a donné son nom s'emploie à toujours rester dans la lumière. Ses efforts ne sont pas passés inaperçus chez Apple: l'été dernier, le géant américain a convié Velux à participer à son projet HomeKit, ensemble d'applications visant à orchestrer l'automatisation de la maison de demain depuis un smartphone. «Apple a sélectionné les entreprises qu'il considère comme les leaders dans divers secteurs. Le groupe a des idées très excitantes sur la manière dont nous pourrons contrôler nos maisons à l'avenir. En toute humilité, un certain nombre de ces idées proviennent de chez nous...», se félicite Jørgen Tang-Jensen, le directeur général de Velux.
Pourra-t-on fermer ses fenêtres à distance? «Oui, ce sera l'une des possibilités. Plus important encore, la manière dont nous nous y prendrons permettra de réduire la consommation d'énergie dans les logements. Mais ce n'est pas encore sur le marché. Vous en dire plus donnerait des indices à la concurrence», avance celui qui dirige la société depuis quinze ans. Velux espère voir ses produits intégrés à la nouvelle plate-forme d'Apple d'ici l'été prochain, tout en insistant sur le fait que l'«app» en question fonctionnera aussi sur Android. Pour son dirigeant, «tous les signaux sont au vert en vue d'une véritable percée de la maison intelligente dans les années à venir. Le développement du smartphone, du wi-fi et de Bluetooth va nous permettre d'aller beaucoup plus loin que les petits îlots automatisés qui ont émergé jusqu'à présent.» L'adoubement par Apple est logique, estime-t-on chez Velux. Depuis 2008, la firme scandinave se consacre à la recherche in situ en vue de peaufiner la maison de demain. «Nous avons déjà commencé à tester toute la partie domotique il y a quelques années à la Maison Air et Lumière», construction expérimentale bâtie par Velux dans un écoquartier à Verrières-le-Buisson (Essonne), dans le cadre de son programme européen «Model Home 2020», pointe Benoît Fabre, président de la filiale française (voir p. 30).
«Une expérience vaut mieux que mille avis d'experts», avait coutume de dire le fondateur de Velux, Villum Kann Rasmussen. La devise sert de mantra à ceux qui, depuis sa mort en 1993, ont repris le flambeau. Elle est avant tout mise en pratique à l'usine d'Østbirk, le centre névralgique du groupe. C'est là, dans le Danemark rural, à trois heures de route de Copenhague, que sont conçus et testés les futurs produits. Un département idoine emploie quelque 65 personnes. Certaines d'entre elles sont chargées d'infliger les pires traitements aux nouvelles fenêtres avant commercialisation: exposition aux grandes chaleurs, aux vents les plus violents, aux pluies diluviennes, au froid arctique, aux pressions intenses, à l'humidité tropicale, etc. Il s'agit d'adapter le produit à tous les climats et marchés possibles, à toutes les réglementations nationales. Les matériaux sont aussi soumis au bruit, maculés de colle, de produits chimiques et autres empreintes de doigt. «Nous réalisons environ 1800 tests par an», précise Jørgen Fredriksen, l'employé qui officie comme guide, le jour de notre visite.
Un peu de lumière malgré la guerre
L'usine d'Østbirk, la plus ancienne du groupe, abrite aussi des ateliers. «Ici, nous fabriquons les produits en phase de commercialisation, le temps que la demande monte en puissance. Puis nous transférons la production vers d'autres usines, plus proches des grands marchés géographiques», explique le directeur du site, Carsten Ravnhøj. C'est que l'entreprise, qui compte désormais des usines dans dix-sept pays et près de 10000 employés, a pris une ampleur que le fondateur ne soupçonnait probablement pas lors de sa création, en 1941.
Le Danemark est alors occupé par l'Allemagne nazie. Les matières premières se font rares. Fils de pasteur, Villum Kann Rasmussen, ingénieur de formation désargenté, parvient malgré tout à se lancer. D'emblée, il choisit de baptiser ses fenêtres Velux: «Ve» pour ventilation et le mot latin «lux» pour lumière. En 1945, l'entreprise dépose un brevet pour la fameuse fenêtre à pivot, qui permet de nettoyer de l'intérieur du logement la surface extérieure de la vitre. Une innovation qui fera la différence, alors que l'Europe de l'après-guerre reconstruit à tour de bras. La véritable percée a lieu dans l'Allemagne du Wirtschaftswunder (le miracle économique), lorsque Velux y trouve un partenaire, en 1952. «Les affaires ont si bien marché que les recettes provenant de ce pays ont permis de financer notre expansion, notamment vers la France avec l'ouverture d'une filiale en 1964, puis les États-Unis», se souvient le fils aîné du fondateur, Lars Kann Rasmussen.
Aujourd'hui âgé de 77 ans, celui qui a collectionné les postes de direction ne tarit pas d'anecdotes sur son père, sa passion pour la voile et «sa volonté d'indépendance». De fait, le fondateur a l'idée, dans les années 70, d'appliquer à Velux une disposition propre à la législation danoise, qui lui évite de dépendre d'actionnaires extérieurs. La propriété de la maison mère de Velux (VKR Holding) est transférée à deux fondations d'utilité publique contrôlées, jusqu'à ce jour, par ses descendants. «Quand Velux gagne plus que ce qu'elle doit réinvestir pour satisfaire ses clients, elle verse une grande partie de cet argent aux fondations, qui le redistribuent au profit de leurs oeuvres, dans les sciences, l'environnement, l'action sociale ou la culture», résume Jørgen Tang-Jensen. Et le directeur de Velux de citer, à Paris, la restauration des vitraux de la Sainte-Chapelle (5 millions d'euros) et celle, en cours, de la verrière du Palais de la découverte (850000 euros). Au total, 993 millions d'euros ont été redistribués au titre du mécénat.
N'étant pas passé par la case de l'introduction en Bourse, exempté donc des exigences qui en découlent, Velux a pu déployer une stratégie à long terme. Et prospérer dans la discrétion, à l'abri des stores et des volets roulants solaires qu'il a créés pour enrichir sa gamme d'articles. VKR ne publie que peu de données financières (voir p. 29) et se refuse à communiquer ne serait-ce que les parts de marché de son navire amiral, Velux. Un comble pour un groupe qui vend de la clarté... L'entreprise rétorque ne pas vouloir faire de tels cadeaux à la concurrence. Au journal danois Jyllands-Posten, Jørgen Tang-Jensen avait toutefois lâché, en 2014, que son entreprise détenait «environ 75% du marché» mondial de la fenêtre de toit.
«Ne pas s'endormir suR ses lauriers»
Mais comment, à la longue, tenir tête à une concurrence qui ne manque pas d'imiter ses produits en fabriquant à faible coût? Velux tente d'abord de contrer les tentatives de plagiat en s'appuyant sur les nombreux brevets déposés au fil du temps. De plus, le groupe n'a pas attendu la mondialisation pour délocaliser une partie de sa production vers des territoires plus cléments, d'un point de vue salarial et fiscal, que le Danemark. Dès 1986, la Hongrie communiste accueille une usine. D'autres pays d'Europe centrale suivent (Pologne, République tchèque, etc.), puis la Chine. C'est ainsi que le groupe peut proposer des tarifs compétitifs. «Nous voulons vendre à bon marché pour garder notre position dominante», expliquait Jørgen Tang-Jensen en 2015 au quotidien danois Berlingske. Le groupe conserve tout de même cinq sites de production au Danemark. Et quatre en France (Haute-Marne, Haute-Saône, Haute-Savoie et Somme), où il emploie près de 1000 personnes. Dernier atout de taille: la qualité des produits Velux eux-mêmes et le service clients qui les accompagne. «Tout le monde ne peut pas produire des fenêtres dans autant de variétés de matériaux, de finitions et de tailles que nous. Les nôtres peuvent être remplacées en une semaine ou moins, grâce à leur numéro de châssis», expose le fils du fondateur. À l'entendre, «ce qui est difficile pour Velux, c'est de ne pas s'endormir sur ses lauriers.»
Dans ce groupe qui n'a connu que la croissance organique, sans rachat de concurrents, l'innovation reste donc un facteur-clé. Le changement climatique et ses conséquences constituent un bon moteur à cet égard. Velux a par exemple perfectionné son vitrage à contrôle solaire, qui arrête jusqu'à 77% de la chaleur tout en laissant entrer la lumière. «Il y a quinze ans, ce vitrage représentait au maximum 20% de nos ventes en France, aujourd'hui il en est à 90%», précise Benoît Fabre, en charge de l'Hexagone. Le dernier pari technologique en date, c'est la verrière modulaire, système de grande taille destiné aux bâtiments du tertiaire. Peut-être l'un des derniers chantiers de Jørgen Tang-Jensen.
L'été dernier, ce militant de l'habitat durable, âgé de 60 ans, a annoncé qu'il comptait bientôt passer la main. Les noms avancés pour lui succéder à la tête de Velux: le Danois Peter Bang, directeur financier, et le Britannique David Briggs, directeur des ventes. L'affaire devrait se régler en interne. Quant à la famille du fondateur, l'une des quinze plus riches du Danemark avec une fortune estimée à quelque 4,5 milliards d'euros, elle a déjà assuré la relève: depuis août dernier, l'un des petits-fils de Villum, Mads Kann Rasmussen, 43 ans, assume la direction générale de VKR Holding. Son frère aîné Jens préside déjà l'une des fondations, au sommet de l'édifice. Ils protègent jalousement la recette du succès.
Habiter dans des maisons-tests
Pour mieux concevoir l'habitat durable de demain, Velux s'est lancé, à partir de 2008, dans la construction de bâtiments expérimentaux en Europe, fondés sur les principes d'une «maison active». Soit une habitation qui produit plus d'énergie qu'elle n'en consomme. Des familles se sont portées volontaires pour louer les maisons en question pendant un ou deux ans, tout en faisant l'objet d'études sur leurs conditions de vie et leur santé. Une fois l'expérimentation achevée, les maisons ont été revendues, dont celle de Verrières-le-Buisson (Essonne), la Maison Air et Lumière (photo ci-contre). «Elle a vite trouvé un propriétaire qui en est satisfait et nous envoie régulièrement des nouvelles», relate Benoît Fabre, président de Velux France. Depuis, un autre projet a débuté dans un quartier d'habitat social d'Anderlecht, dans la région de Bruxelles. Velux a rénové une maison à ses frais. Et un couple avec trois enfants va y vivre, pour un loyer modéré, là aussi sous le regard de chercheurs.
Les chiffres clés
Résultats 2015 de VKR Holding, maison mère de Velux, en euros*Chiffre d'affaires:2,37 milliardsEbitda:501 millionsBénéfice net: 268 millionsMarge bénéficiaire:16,4%Rendement du capital investi:39,2%Employés:13644* La part de Velux n'est pas détaillée, mais elle est grandement majoritaire.