La cavalière face à un parcours plein d’obstacles | JDM
Quand on fait bien les choses, les bonnes choses finissent par arriver.
C’est une phrase de Michel Laplante, le PDG des Capitales de Québec, qui me revient à l’esprit en écoutant la présidente de Tristan Lili Fortin, fille du fondateur, me raconter comment elle et sa famille sont parvenues à sauver leur entreprise malmenée par la pandémie.
Le 5 août dernier, après une année de crise inimaginable, les créanciers des boutiques de vêtements lancées par ses parents en 1973 ont accepté à l’unanimité la proposition de remboursement de 10 % de la dette qui leur était faite.
Tristan s’était placé sous la protection de la Loi sur les faillites et l’insolvabilité en juillet 2020, victime des fermetures de magasins provoquées par la pandémie. Les avocats et le syndic n’avaient jamais vu ça : l’unanimité pour un remboursement de 10 % de la dette, accompagnée d’une grande vague de soutien et d’amour. C’était d’un précieux réconfort pour Lili et les siens, après des mois en mode survie. Et cela ne serait jamais arrivé sans des années de relations respectueuses avec les fournisseurs. Tout le monde voulait que cette famille-là puisse continuer à accomplir sa mission.
Et voilà la pandémie
Au début de la pandémie, Tristan avait transformé la fabrication à son usine de Cookshire afin de produire des visières de protection pour les travailleurs. Une manière de résister à la dévastation en faisant œuvre utile. Ce qui est moins su, c’est qu’en plus de ça, l’entreprise a sauvé l’approvisionnement en blouses médicales destinées à protéger les travailleurs de la santé du Québec.
Pendant que les autorités hésitaient entre des blouses jetables ou lavables, importées ou fabriquées localement, Lili a joué quitte ou double. Elle a eu l’intuition profonde qu’il fallait importer des blouses de Chine. Mais comme le monde entier se les disputait, il fallait les payer avant réception, à fort prix, et les faire venir en avion. Les Fortin discutaient avec le gouvernement, mais n’avaient pas de bon de commande.
Ils ont quand même pris le risque d’acheter, à un moment où il y avait plus de dépenses que de revenus pour leur entreprise. Les blouses sont arrivées à l’entrepôt un vendredi de printemps 2020. Lili a téléphoné aux responsables de l’approvisionnement pour le gouvernement du Québec.
« Des blouses à Montréal ? T’es sérieuse ? »
C’était comme un cadeau tombé du ciel. Des camions ont été envoyés le jour même pour les récupérer. C’était à ce point urgent que sans Tristan, il aurait manqué de blouses pendant le week-end. Avec les employés encore présents, Lili a aidé au chargement, pendant qu’on lui disait de faire attention à elle et au petit enfant qu’elle portait.
Olivia est née le 28 août 2020, au milieu des rendez-vous fréquents avec le syndic et les avocats, quelques semaines après que la Banque Nationale eut largué Tristan. La petite ne le sait pas encore, mais comme sa cousine née six mois plus tard, elle a été un phare pour sa famille et les employés de Tristan. Elle faisait partie des éléments positifs auxquels on pouvait se raccrocher pour ne pas figer dans la peur ou sombrer dans la déprime. Elle aidait à penser à la vie, à un moment où la mort et les combats étaient partout.
Ne pas céder à la panique
Au bord du précipice financier, sans appui bancaire, et face à des bailleurs qui refusaient de donner de l’air aux détaillants, Lili voyait aussi les chasseurs de têtes tourner autour de ses employés comme des vautours au-dessus d’un animal blessé.
Dans le chaos et l’incertitude, portée par son instinct de protection, elle a refusé de céder à la panique. Elle s’est répété chaque jour les enseignements de son prof d’équitation : elle ne deviendrait jamais une bonne cavalière en montant des chevaux dociles. Sur le dos des agités, il n’y avait qu’un moyen pour trouver sa zone de focus : calme, droit et en avant.
C’est ainsi que les bonnes choses ont fini par arriver. En gardant le calme, tout en prenant des risques énormes pour contribuer aux efforts de protection de la santé publique, Tristan a survécu. Les employés, les fournisseurs et les clients sont restés fidèles parce qu’ils ont gardé confiance. Et Lili prend aujourd’hui plus de temps avec Olivia et ses deux autres enfants.
Droit devant, elle voit encore du brouillard, malgré l’embellie. On ne sait pas encore quand les travailleurs vont troquer les joggings pour les robes et les vestons. On ne sait pas à quel point les habitudes de consommation auront été changées. Mais droit devant, il y a de l’espoir et un nouvel état d’esprit.
« Nous avons payé trop cher pour apprendre, mais nous avons appris beaucoup. On avance aujourd’hui avec la confiance qu’on va passer à travers et avec l’ouverture de faire les choses différemment », souligne Lili Fortin.
Profil de Lili Fortin