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Michel Holtz
51Le couple franco-allemand, qui durait depuis 11 ans vient de se séparer. Retour sur une décennie de flops, de quelques tops, et d'une aventure dont la fin va défavoriser le conjoint français et faire l'affaire de l'Allemand.
L'affaire n'a pas fait grand bruit. Pourtant, le 10 novembre dernier, le divorce était scellé et Daimler a avoué avoir vendu les dernières actions dont il disposait au sein du groupe Renault. La fin d'une idylle qui durait depuis 11 ans et qui, à son départ, devait augurer d'un avenir radieux fait de nombreuses petites et grandes autos. Évidemment, du côté du vendeur (Mercedes), on se veut rassurant, et du côté du délaissé, on préfère oublier. Les deux expliquent, comme dans tous les divorces, que les enfants ne seront pas traumatisés par la séparation, que les Renault Kangoo continueront, d'un coup de baguette magique étoilée, à devenir Mercdes Citan et que les Classe A de la même marque continueront, pour le moment, de cacher un moteur essence fabriqué en commun. Soit, mais quel gâchis depuis une décennie.
Le rêve d'une Renault Classe E
Car en 2010, au moment de la signature de l'accord, la boîte à fantasme était grande ouverte. Les deux PDG d'alors – qui ne sont plus aux commandes de leur groupe respectif aujourd’hui jubilent. D'un côté Dieter Zetsche patron de Mercedes, voit dans cet accord, le moyen de fourguer ses moteurs et plateformes de grandes berlines et de récupérer des petits moteurs pour ses compactes. En face, Carlos Gohsn est tout aussi ravi : il a trouvé des clients pour 3,1 % de ses actions, pour ses moteurs 1.5 et 1.6 diesel qui ne sont pas les meilleurs de la planète et le moyen de fabriquer et de vendre des grandes berlines prestigieuses, puisqu’affublées de la signature powered by Mercedes.
C'est qu'à ce moment-là, les grandes autos de prestige du losange, sont aux abonnés absents. Juste avant la signature de cet accord, le losange a lancé la Latitude. Cette voiture, récupérée chez Samsung, la filiale coréenne du groupe, est rebadgée à la hâte et vendue avec trois moteurs diesel et aucun bloc essence. En plus, elle arrive juste après la VelSatis et son flop mémorable. La Latitude essuie d'emblée un gadin comparable avec moins de 4 500 ventes la première année et dieu sait qu'après ce raté, l'accord avec Mercedes a fait rêver tous ceux qui se préoccupaient du prestige de Renault. La rumeur, donnée d'ailleurs pour sûr de chez certaine, expliquait que la plateforme et les moteurs de la Mercedes Classe E allaient servir de base pour la nouvelle grande Renault. C'est sûr, c'est signé et l'engin sera sur les routes dans trois ans.
Les pick-up : le nouvel eldorado
Évidemment, trois ans plus tard, en 2013, Carlos Tavares qui, a ce moment-là était encore à la direction opérationnelle de Renault a démenti cette affaire : il n'y aura jamais de Renault Classe E. Quelques mois plus tard, il décroche la présidence de PSA et à la place d'une prestigieuse berline, Carlos Ghosn a choisi de produire une Renault Talisman. Un choix pas vraiment couronné de succès depuis. Mais l'accord Mercedes - Renault, qui a échoué dans ce domaine, ne s'est pas arrêté en si bon chemin. Vers 2015, les deux marques ont flairé un bon filon dans un tout autre domaine que les grandes berlines. L'Europe en général, et la France en particulier, a prévu de durcir drastiquement le malus écologique. Les 4x4 franchisseurs, les purs et durs, seront très touchés et s'en est fini de leur succès. Mais la loi a un trou dans la raquette : les pick-up, qu'ils soient utilisés par un père de famille ou un chef de chantier sont considérés comme véhicules professionnels et exclus de punition.
Top-là. Entre Billancourt et Stuttgart on flaire la bonne affaire. En plus, dans l'Alliance, Nissan dispose d'un pick-up Navara qui fait parfaitement le job. Une calandre Renault par ci sur l'Alaskan et Mercedes par là sur le Classe X, et par ici les bons de commande. Sauf que l'enthousiasme franco-allemand est rapidement douché. Si le Navara poursuit tranquillement son bonhomme de chemin autour de la planète, les deux autres se vendent mal, l'Alaskan s'écoule à moins de 1 500 exemplaires par an. Cerise sur le bouchon de radiateur : en 2019, les autorités s'aperçoivent du flou juridique qui entoure ces gros bestiaux et taxent les modèles double cabine comme tous les autres 4x4. C'en est trop et moins d'un an plus tard, les deux constructeurs quittent l'aventure.
Twingo-Smart : comment gagner de l'argent avec des microcitadines ?
Mais l'accord Mercedes-Renault n'a pas seulement concerné les grandes berlines et les pick-up. Les petites autos ont elles aussi été embarquées dans ce voyage de dix ans. Toujours histoire d'économiser quelque argent, Daimler a cru bon de partager la fabrication de sa Smart. Elle est déficitaire depuis des années, et pour qu'elle le soit moins, il suffit de partager les pertes avec le copain Renault. Banco : la Twingo, troisième du genre, sera produite sur les mêmes chaînes avec la même plateforme que la Smart Forfour. Hélas, même si les ventes de la mini Renault ne sont pas négligeables, il est difficile, voire impossible de gagner de l'argent avec une mlicrocitadine. La décision est donc prise en 2019 : Smart arrète les frais, son usine principale à Hambach est vendue. Son acheteur, le groupe anglais Ineos va y fabriquer tout l'inverse d'une Smart -Twingo : le gros et lourd 4x4 Grenadier, même s'il continue de fabriquer en parallèle les petites autos jusqu'en 2023.
Évidemment, ce petit bilan des flops, ou des demi-succès de l'entente franco-allemande explique la fin de l'accord, mais il y eut néanmoins quelques réussites, comme le Renault Kangoo transformé en Mercedes Citan depuis 2012. Si ce dernier n'est pas un best-seller, il se vend en tout cas suffisamment pour que l'aventure continue et que la nouvelle camionnette française commercialisée cette année, soit elle aussi traduite en Allemand. De la même manière, les moteurs essence 1.3 crées en commun continueront de trouver refuge sous les capots des deux marques. Et demain ? Lorsque la planète auto aura basculé dans le tout électrique, les cartes seront rebattues. Mercedes comme Renault pourront établir d'autres accords, acheter à l'un les moteurs, ou les voitures complètes que l'autre n'a pas. En plus, sans accord capitalistique, chacun pourra faire ses courses ou bon lui semble, chez Toyota ou Fordpour les utilitaires, les moteurs électriques ou les plateformes complètes. C'est une liberté retrouvée qui favorise Mercedes, en parfaite santé, mais qui peut pénaliser Renault, en moins bon état, et qui n'aura plus de client pieds et poings liés par un accord. D'ailleurs la bourse ne s'y est pas trompée, l'action du losange a chuté dès la nouvelle connue du retrait total de Mercedes de l'aventure franco-allemande.
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