"Les contrats IPD, un nouveau terrain de jeu pour le secteur de la construction", Vincent Moraël, Coeff
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Et si les contrats se faisaient plus collaboratifs ? Pour Vincent Moraël, dirigeant de Coeff (cabinet de conseil et d’ingénierie spécialisé en lean management dans le secteur du BTP), les contrats IPD pour "integrated project delivery" - ou contrats d'alliance -, offrent une voie intéressante pour des opérations complexes.
Entre les contrats globaux des marchés de construction qui sont aujourd’hui massivement promus par le gouvernement dans le cadre du plan de relance (cf. circulaire 6244/SG du 21 janvier 2021) et les contrats de la loi MOP, un espace prometteur se dégage pour les contrats IPD (integrated project delivery). Le marché de la construction en France pourrait-il ainsi trouver son juste équilibre entre conception architecturale, maîtrise descouts et des délais et qualité de vie des utilisateurs finaux ?
La rigidité des contrats MOP
Les contrats enloi MOP s’imposent aux acteurs de la commande publique en matière d’ouvrages publics. Ils posent le principe que les missions du maître d’œuvre et de l’entrepreneur sont nécessairement distinctes. L’ordre des architectes, son président notamment (Denis Dessus, dans son récent article "Visées et effets pervers des marchés globaux", d’Architectures 288/avril 2021), défend ce principe au motif que les intérêts des entreprises du BTP seraient par essence contraires à l’innovation architecturale. Ce parti pris oublie cependant les nombreuses entreprises de construction qui font primer la satisfaction de l’utilisateur final et la qualité de l’ouvrage sur les considérations économiques. Et toute entreprise de construction qui souhaite s’inscrire dans la durée et promouvoir par là-même l’économie circulaire, le développement durable ou l’écologie s’inscrit bien dans cette volonté. La recherche de rentabilité, dans la démarche lean management de réduction des gaspillages par exemple, a pour seul objectif de réduire la non-valeur ajoutée pour le client.
La part « confinée » des marchés globaux
Les contrats globaux (PPP, conception-réalisation et marché global de performance) représentent aujourd’hui 10% de la commande publique et devraient se développer dans le cadre du plan de relance du gouvernement. Ces contrats dérogent à la loi MOP et au principe d’allotissement. Ils regroupent dans une même équipe, entreprises et maîtrise d’œuvre autour d’un programme initial détaillé et figé. Leur place par essence « dérogatoire » au droit public réduit de fait leur domaine d’application.
Un espace pour une collaboration vertueuse ?
L’integrated project delivery (IPD) est un mode contractuel innovant, car collaboratif, de passation des contrats de construction. Originaire d’Amérique du Nord, il s’est fortement répandu au Royaume-Uni, en Norvège, en Australie, Nouvelle Zélande et dernièrement au Canada. L’American Institute of Architects (AIA) a publié pour la première fois une directive sur le sujet en 2007 et l’a ainsi défini comme « une approche de réalisation de projet qui intègre les parties, les systèmes, les structures d’entreprise et les pratiques dans un processus collaboratif qui mise sur les talents et idées de toutes les parties prenantes pour optimiser les résultats du projet, en accroître la valeur, réduire le gaspillage et maximiser l’efficacité à toutes les phases de la conception, de la fabrication et de la construction » (1).
En français, certains utilisent le nom de "réalisation de projet intégré" (RPI) ou "réalisation intégrée de projet" ; il nous semble plus judicieux de parler soit de contrat alliance, soit de garder tel quel l’acronyme IPD.
Au niveau juridique, ce contrat peut être utilisé en France en marché privé car il n’y a aucun blocage au niveau des assurances. En revanche, il n’est pas (encore ?) prévu dans le Code de la commande publique.
Création et partage de la valeur ajoutée
Approche de réalisation de projet, mode de passation de contrat de construction, contrat « d’alliance » mais aussi méthodologie, l’IPD est un changement de paradigme qui abolit les silos traditionnels du secteur du BTP.Son objectif est simple ; c’est la création et le partage de la valeur ajoutée. Tous les acteurs d’un projet se retrouvent contractuellement et culturellement focalisés sur la réussite du projet, même si cela signifie d’aller à l’encontre de leurs intérêts spécifiques. L’IPD instaure de fait une bonne collaboration puisque quoiqu’il arrive et par nature, les participants seront soit tous « gagnants » soit tous « perdants ». En d’autres termes, si un problème surgit, il est le problème de toutes les parties (maître d’ouvrage, concepteur et entreprise de construction) et elles doivent travailler ensemble à le résoudre.
L’objectif principal poursuivi par la méthode IPD est la réalisation d’une valeur maximale sur le rapport qualité-coût pour le projet à livrer. Ce qui est intéressant et vertueux dans cette méthode est donc qu’elle ne vise pas simplement à améliorer la rentabilité du projet, mais que, ce faisant, qu’elle en accroit la valeur globale pour tous.
Quel terrain de jeu se dessine pour l’IPD ?
Nous passerons rapidement sur les conditions de mise en œuvre de l’IPD qui sont parfaitement décrites dans la documentation (voir l’aide à la bonne utilisation de l’IPD publiée par AGC « Integrated project delivery – for public and private owners »).C’est tout un système, avec sa culture particulière (implication, communication, créativité et innovation) qu’il faut mettre en place.
L’écosystème des contrats IPD a un coût non négligeable et des contraintes, ce qui réduit le type de projet où il peut être mis en place. Compte-tenu de ce que nous avons exposé, il est clair que la condition sine qua none est que le maître d’ouvrage accorde une importance déterminante à la qualité et à la durabilité du bâtiment. Côté équipe, l’adhésion de tous les collaborateurs à la démarche collaborative de l’IPD dès le départ est essentielle. Il y a également des coûts de formation des équipes et d’organisation, des investissements en logiciels et outils digitaux à prévoir car la méthode IPD est actuellement méconnue. Il est donc plus astucieux de réserver ce mode de collaboration aux projets complexes, de longue haleine avec un budget important (supérieur à 15 M€), et qui nécessitent une gestion flexible.
L'IPD peut-il solutionner les maux du marché français de la construction ?
Dans le contexte décrit par la note de conjoncture de mars dernier de la FFB, nous identifions tous facilement les problématiques de notre secteur : des objectifs clients souvent mal définis ou incomplets, des délais d’études à rallonge, des budgets en dépassement importants… et souvent, un jeu de dupes entre les différents acteurs.
En France, tout particulièrement, du fait de la fragmentation entre les études de conception et les processus d’études d’exécution et réalisation de l’ouvrage, le process global manque de fluidité. Notre système ne génère-t-il pas une double phase d’étude contreproductive ? L’IPD est une réponse radicale à ce problème, comme le montre la courbe de McLeamy ci-dessous. Cette comparaison entre les méthodes IPD et traditionnelles prouve sans ambages que la procrastination de la méthode traditionnelle coûte cher.
courbe de McLeamyClose Lightbox
Si l’IPD ne pourra jamais devenir la méthode française principale de réalisation des projets de construction, il pourra ponctuellement, sur les marchés complexes et importants, améliorer la rentabilité et la valeur globale pour tous.
Au-delà du contrat IPD en lui-même c’est tout le système vertueux de collaboration qu’il met en place qui peut être aussi une petite révolution pour l’ensemble du secteur. Le lean management appliqué à la construction, la planification tirée et les équipes focalisées sur les conditions de satisfaction du client, sont autant de pierres fondatrices au nouveau paradigme de la construction que nous avons à créer.
(1) Source :traduction de l’ouvrage "Integrated project delivery" : a guide, 2007, AIA.
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