Economie, environnement, emploi la grande entourloupe des éoliennes
Cet article est issu du magazine Capital
Une fois n’est pas coutume, avant de mordre dans le sujet, entrons quelques instants dans la cuisine de Capital. Nous avions décidé de traiter le débat sur les éoliennes en posant tout de go la question: puisqu’elles saccagent nos paysages, qu’attend-on donc pour installer ces géantes blanches dans la mer? A la différence de celui des Britanniques ou des Danois, notre littoral n’abrite en effet toujours aucune de ces machines, alors même que les premiers projets ont été lancés il y a… plus de dix ans. L’article aurait pointé le poids de la bureaucratie dans notre pays, la procrastination de ses responsables politiques et la malignité de ses associations locales, toujours promptes à glisser des bâtons dans les roues du progrès – en l’occurrence, de la lutte contre le changement climatique. Seulement…
Seulement, au fil de notre enquête, ce programme de travail s’est effiloché, et nous en sommes venus à nous poser une autre question, toute simple: à quoi servent donc les éoliennes? Pour y répondre, nous avons recueilli l’avis des experts, scruté les arguments des écologistes, refait les calculs avec des économistes, traîné nos guêtres chez les fabricants de pales, avalé des piles de rapports et repassé dix fois la bande en avant et en arrière. Et la conclusion à laquelle nous sommes arrivés nous a nous-mêmes laissés pantois.
A quoi servent les éoliennes? La première réponse qui vient à l’esprit est: à décarboner notre production d’électricité, bien sûr! Et, par voie de conséquence, à lutter contre le changement climatique. Cet argument est martelé avec tant de constance par les amoureux du zéphyr qu’il a fini par devenir vérité d’évangile. Vincent Delporte, chargé du renouvelable terrestre à la Direction générale de l’énergie et du climat: «Les éoliennes sont le seul moyen d’atteindre la neutralité carbone en 2050.» Barbara Pompili, ministre de l’Environnement: «Elles sont vitales, on en a besoin pour baisser nos émissions de gaz à effet de serre.» Nicolas Hulot: «Face aux menaces que fait planer le changement climatique, il faut les développer à fond.» Pour appuyer leurs dires, les défenseurs des tourniquets vont jusqu’à calculer au millimètre leurs supposés effets bénéfiques: l’an dernier, ils nous auraient fait économiser l’équivalent des rejets de 8 millions de véhicules thermiques. Du cousu main.
>> En vidéo - Les éoliennes sont-elles vraiment écologiques ?
Le problème, c’est que tout cela est faux, pour la bonne raison que notre électricité est déjà presque entièrement décarbonée. Seulement 7,5% de notre courant provient de centrales cracheuses de CO2, tout le reste est produit sans le moindre rejet, essentiellement par des réacteurs nucléaires et des barrages. C’est parce qu’ils ont besoin de souplesse que les dirigeants d’EDF maintiennent en activité une poignée d’unités au pétrole, au gaz et au charbon: elles leur permettent d’adapter la production aux variations de la demande plus facilement que les grandes centrales atomiques. L’arrivée des éoliennes a-t-elle changé quelque chose à cela? Pas du tout. Alors que leur part dans la production d’électricité a presque triplé entre 2014 et 2020, celle du courant carboné n’a pas baissé, même d’une décimale.
L’équation de la France est donc bien différente de celle de ses voisins. En Allemagne, en Espagne ou en Italie, où il y a peu ou pas de centrales nucléaires, le courant tiré des éoliennes prend la place de kilowattheures produits avec du gaz ou du charbon. Chaque tour d’hélice y fait donc bien baisser les émissions nocives, et les écolos peuvent à bon droit exiger qu’on y connecte toujours plus de moulinets pour sauver la planète. Chez nous, c’est à l’atome que le vent s’est jusqu’à présent substitué. Et qu’il continuera de le faire si, pour répondre à l’explosion de la demande d’électricité (+33% prévus en 2050), on choisit d’installer des aérogénérateurs plutôt que des réacteurs nucléaires.
On peut retourner les choses dans tous les sens, remplacer du zéro carbone par du zéro carbone ne fait pas avancer d’un poil la cause du climat. Jean-François Carenco, le président de la Commission de régulation de l’énergie (CRE), pourtant grand défenseur des énergies renouvelables, l’a d’ailleurs avoué avec franchise en 2018 lors d’une audition à l’Assemblée nationale: «Les éoliennes ne servent pas à diminuer les émissions de CO2, il faut le rappeler car on dit beaucoup de mensonges à ce sujet. Cela n’a aucun sens et procède d’une forme de populisme idéologique.»
Ce grand connaisseur du dossier aurait pu ajouter que, loin de la réduire, les machines à pales contribuent parfois à… accroître la quantité de CO2 émise par notre pays. Pour le comprendre, il suffit de faire un petit tour à Landivisiau, dans le nord du Finistère. Là-bas, les techniciens d’EDF mettent la dernière main à la construction d’une centrale au gaz, qui rejettera du carbone à pleines cheminées. Pourquoi? A cause des éoliennes, pardi! Traditionnellement déficitaire en énergie, la Bretagne se couvre en effet peu à peu d’une forêt d’hélices. Dans la baie de Saint-Brieuc, en particulier, un parc offshore cyclopéen est en train d’être aménagé – au grand dam des associations de protection de la nature, mais ça, c’est une autre histoire. Quand il y aura de la brise, ses 62 mâts de 200 mètres de haut produiront du courant et Barbara Pompili sera contente. Mais lorsqu’il n’y en aura pas ou pas assez, avec quelle électricité le TGV prendra-t-il le départ à la gare de Guingamp? Vous avez compris: avec celle de Landivisiau.
Pour éviter la coupure, la nouvelle centrale sera priée de prendre le relais en allumant ses fourneaux – c’est pour cela qu’on l’a construite – et elle devra les éteindre dès que le vent reviendra. Cette roue de secours gonflée au méthane ne sera pas seulement désastreuse pour le climat: elle coûtera aussi une fortune aux usagers et aux contribuables, car le fonctionnement discontinu de ce genre de plateforme engendre des frais considérables. Voilà pourquoi les pouvoirs publics ont déjà prévu de la subventionner à hauteur de 800 millions d’euros.
C’est cela, le gros défaut des petites préférées des écologistes: elles ne se suffisent pas à elles-mêmes. En moyenne, elles fonctionnent à 24% de leurs capacités sur terre et à 40% lorsqu’elles sont plantées en mer. Les responsables de RTE, l’entreprise qui gère le réseau d’électricité, assurent qu’on peut pallier cet inconvénient en développant des systèmes de stockage, en jouant sur les importations et en adaptant la consommation des usagers. Mais ils savent très bien qu’aucun de ces trois leviers n’est satisfaisant. Même en dépensant des fortunes en batteries, en installant des réservoirs d’eau en altitude partout où c’est possible et en boostant la production d’hydrogène (qui n’est rien d’autre que de l’électricité transformée en gaz), on ne pourra jamais stocker qu’une petite partie de ce qui serait nécessaire pour garantir une fourniture permanente de courant éolien. Importer des kilowattheures de chez nos voisins les jours de calme plat ne sera pas plus efficace, car le régime de vents est presque partout le même en Europe occidentale.
Les écologistes ont beau jurer leurs grands dieux que ce n’est pas vrai, les graphiques de Jean-Marc Jancovici, l’un des rares experts à avoir publié des données précises à ce sujet, ne laissent guère de doutes sur ce point. Quant à convaincre les consommateurs d’éteindre leurs ordinateurs et de se passer de lave-vaisselle lorsque le vent ne souffle pas, ce n’est pas gagné d’avance au pays des Gaulois!
Bien sûr, il est possible que les chercheurs finissent un jour par mettre au point un système de stockage à grande échelle économiquement viable. Mais au vu de l’état de la recherche, ce n’est pas demain la veille. En attendant, tous les connaisseurs du dossier le savent, la seule vraie solution pour compenser les absences de nos inconstantes consiste à maintenir à grands frais un appareil de production parallèle. Ce qui nous amène à la deuxième question: si elles ne servent pas à réduire les émissions de gaz à effet de serre, les éoliennes nous protègent-elles au moins du risque nucléaire? Après tout, comme s’en agace la Cour des comptes, c’est cela la vraie raison pour laquelle, sous la pression des Verts, les pouvoirs publics font aujourd’hui tout pour les développer. Eh bien, là encore, la réponse est non. Car, en supposant qu’on plante partout des machines à pales, l’appareil de production de secours que nous conserverons pour les jours de calme ne sera évidemment pas constitué en priorité de modèles Landivisiau – ce serait de la provocation climatique. Pour l’essentiel, il sera composé de centrales nucléaires.
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Officiellement, il est prévu de fermer 14 de nos 56 tranches dans les quinze prochaines années, pour répondre à l’objectif de réduction à 50% de la part de l’atome dans notre production d’électricité. Mais comme tout le monde a compris qu’on ne pourra pas faire sans elles, il est aussi prévu d’en mettre en service de nouvelles, sans doute au moins huit réacteurs EPR – une fois essuyés les plâtres de celui de Flamanville (Manche), leur construction devrait pouvoir être standardisée – assortis d’une noria d’unités plus petites, baptisées SMR (small modular reactors). En d’autres termes, même si l’Hexagone se couvre de milliers de brasseuses de vent, il restera hautement nucléarisé. Et comme les centrales atomiques, qui tourneront de façon plus discontinue, généreront moins de profits pour assurer leur entretien, les écologistes pourront leur reprocher plus encore qu’aujourd’hui d’être à la merci d’un incident. Exactement le contraire de l’effet recherché.
A quoi servent les éoliennes? Peut-être la réponse se cache-t-elle dans le prix du courant? Après tout, si ces grandes blanches nous permettent de faire baisser nos factures, cela pourra à la rigueur justifier qu’on transforme nos collines en oursins tournicotants. A première vue, elles ont quelques bons arguments à faire valoir sur cet aspect du dossier. Selon la CRE, l’électricité produite dans nos réacteurs nucléaires actuels, déjà amortis, revient à 48 euros le mégawattheure (frais de démantèlement et gestion des déchets inclus), ce qui est imbattable.
Mais, à partir de 2030, on sait déjà que la note grimpera avec la mise en service progressive des futurs réacteurs EPR, probablement jusqu’à atteindre 70 ou 75 euros tout compris. Le courant produit avec du vent, lui, coûte aujourd’hui en moyenne 89 euros. Mais, à l’inverse, ce chiffre va rapidement baisser du fait de l’installation de machines toujours plus performantes. «Le mouvement est irrésistible, nos tarifs seront bientôt inférieurs à ceux du nucléaire», s’enthousiasme Michel Gioria, délégué général de France énergie éolienne (FEE), qui regroupe 300 entreprises du secteur. Pour autant qu’il se produise, ce croisement des coûts ne sera cependant qu’une illusion.
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D’abord parce qu’il ne suffit pas de planter des attrape-vent pour éclairer les maisons: il faut aussi adapter le réseau à ces milliers de productrices intermittentes, et cela coûte une vraie fortune (RTE règle chaque année 280 millions d’euros pour les seuls investissements d’interconnexion avec l’étranger). Or ces sommes ne sont pas prises en compte dans les coûts affichés. Dans la pratique, elles sont discrètement financées via la taxe TICPE réglée par les automobilistes à la pompe, et par le biais du Turpe (tarif d’utilisation du réseau public d’électricité) à la charge des usagers.
Mais le principal est ailleurs: si l’on veut établir une vraie comparaison, on doit ajouter au coût des éoliennes proprement dites celui de l’appareil de production parallèle et des équipements de stockage qu’elles exigent de maintenir en activité, ce que personne ne fait jamais. Et c’est en dizaines de milliards que se monte cette facture jumelle.
Comme si tout cela ne suffisait pas, les contribuables vont devoir régler la note de la montagne de subventions accordées par l’Etat à la filière supposément miraculeuse. Le croira-t-on? Le seul parc de Saint-Brieuc, dont le gouvernement s’est engagé à racheter la production à 155 euros le mégawattheure – trois fois le prix du marché! –, va creuser notre déficit budgétaire de 2,7 milliards d’euros! Au total, selon le rapport de la commission d’enquête parlementaire sur la transition énergétique, c’est entre 72,7 et 90 milliards d’aides publiques qui auront été mis sur la table à l’horizon 2028 pour soutenir les moulins à vent. Et l’arrosage se poursuivra après cette date, puisque les contrats de rachat à prix garanti ont été – et continuent d’être – conclus pour quinze ou vingt ans. Un puits sans fond. Avant les folies du vent, les Français bénéficiaient de l’électricité la moins chère d’Europe, 17 centimes le kilowattheure contre 30 en Allemagne. Après elles, ce ne sera plus qu’un souvenir…
A quoi servent les éoliennes? La question commence à devenir lancinante. On imagine à tout le moins que ces jolies mécaniques permettront à la France de «développer une filière industrielle nationale créatrice d’emplois», comme le promettait dès 2008 le Grenelle de l’environnement. Hélas… Après avoir manqué le coche des équipements terrestres, aujourd’hui importés à 100%, notre pays espérait se refaire une santé avec les machines offshore. Manque de chance, quelques mois après que le gouvernement décide de financer ce secteur à pleines mains, les deux champions tricolores qu’il voulait mettre en orbite, Alstom et Adwen (ex-Areva), ont été respectivement rachetés par l’américain General Electric et le germano-espagnol Siemens Gamesa. Peu charitable, ce dernier s’est d’ailleurs empressé de mettre au rancart la technologie frenchie au profit de la sienne, 100% teutonne.
Certes, ces deux groupes sont en train d’installer des usines dans l’ouest de la France. Et quelques PME tricolores peuvent espérer se faire une place au soleil, notamment dans les flotteurs des machines offshore. Mais, comme le soupire la Cour des comptes, le bilan global de l’opération est calamiteux au regard des sommes investies. De l’avis même de ses représentants, la filière, qui emploie aujourd’hui 21000 personnes, pourrait créer en tout et pour tout 10.000 postes supplémentaires d’ici 2030, autant dire presque rien. A titre de comparaison, le nucléaire fait vivre 220.000 personnes…
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A quoi servent les éoliennes? Reste une dernière réponse possible, martelée sur tous les plateaux par les ventophiles: elles servent à diversifier notre mix électrique. Confier 70% de notre courant à un seul mode de production serait en effet une grave erreur, qui mettrait notre pays à la merci d’une panne, d’un blocage des approvisionnements d’uranium, d’une grève surprise, d’un réchauffement des rivières et d’on ne sait quoi encore, en sorte qu’il serait de salubrité publique de ne pas placer tous nos œufs dans le même panier. Les écolos ajoutent qu’on n’a de toute façon pas le choix, car on a pris trop de retard dans le remplacement de notre parc nucléaire (du fait qu’on a mis ces dernières années tout notre argent dans les éoliennes, NDLR, c’est le serpent qui se mord la queue). Cette antienne, qui tient à la fois du mantra chamanique et de la prudence ménagère, est unanimement reprise au gouvernement, comme chez EDF et RTE. Mais en privé, certains de ses adeptes concèdent que tout ça, «c’est de la blague». «Cela fait cinquante ans que les barrages et l’atome nous fournissent l’électricité la plus propre et la moins chère du monde sans la moindre anicroche, on ne voit pas très bien pourquoi on ne pourrait pas continuer comme ça», résume l’un d’eux. On ne le voit pas très bien en effet.
A quoi servent les éoliennes? En définitive, en termes économiques, la réponse tient en deux mots: à rien.
Les inconvénients des éoliennes
Le croirez-vous ? Avant même d’être posées, les 62 éoliennes de 200 mètres de haut du futur parc éolien de Saint-Brieuc (Côtes-d’Armor) sont déjà obsolètes. Elles ont en effet été choisies il y a dix ans, au moment du lancement du projet, et, pour des raisons administratives, il est impossible d’en changer ! Autre bizarrerie de ce parc : alors que, partout en Europe, beaucoup de fermes offshore se lancent aujourd’hui sans un sou de subvention, l’Etat va lâcher pour celle-ci la somme mirobolante de 2,7 milliards d’euros. Du délire.
Les chiffres des éoliennes
La France abrite moins d’éoliennes que ses voisins…
Part de l’éolien dans la production d’électricité en 2020 :
48% Danemark27% Allemagne27% Royaume-Uni22% Espagne14% Belgique12% Pays-Bas9% France7% ItalieSource : Wind Europe
… mais, grâce au nucléaire, son électricité est la plus propre…
Emissions de gaz à effet de serre en grammes par kilowattheure d’électricité consommé en 2019 :
44 France134 Belgique175 Danemark177 Royaume-Uni197 Espagne264 Italie332 Pays-Bas397 Allemagne917 PologneSource : European Environement Agency
… et la moins chère d’Europe
Prix du kilowattheure en centimes d’euro TTC pour les particuliers, en 2019 :
17 France21 Royaume-Uni23 Italie24 Espagne28 Belgique30 Danemark31 AllemagneSource : Eurostat
... mais elle crée très peu d’emplois...
21.000 emplois dans l'éolien en 202130.000 prévisions 2030
220.000 emplois dans le nucléaire en 2021
… et ne fait pas baisser les rejets de CO2
Rejets de C02 dus à la production d’électricité, en millions de tonnes :
15,84 en201417,06 en 2020
L’énergie éolienne coûte une fortune au contribuable…
Total des subventions accordées à la filière entre 2001 et 2028 :
72 à 90 milliards d'euros
Sources : FEE, SFEN, RTE, Assemblée nationale
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