Malheureux comme l’atome à Bruxelles (Tribune) COMMENTAIRES
Tribune signée Gérard Petit, Ingénieur retraité du secteur de l’énergie
Le nucléaire n’est pas forcément en odeur de sainteté à Bruxelles. Pour preuve, les débats autour de la taxonomie ont du mal à faire émerger une position commune sur le nucléaire, énergie pourtant bas carbone…
Chausse-trapes
Dans les traités européens, la politique énergétique est laissée à la main des États, ce qui n’a pas empêché certains d’entre-eux de contester le choix des autres en la matière, ainsi l’Autriche et le Luxembourg s’opposant, mais sans vrai moyen d’action, à la décision du Royaume-Uni (ante Brexit) de construire de nouveaux réacteurs à Hinkley Point.
Règne cependant à Bruxelles un climat anti-nucléaire bien réel, fortement ourdi et entretenu par l’Allemagne, qui a fait de la sortie de l’atome, une religion et son prosélytisme est opérant.
Une Commission présidée par une Allemande (1), un vice-président néerlandais, ouvertement anti-nucléaire, chargé de la mise en œuvre du « Green Deal » (2) et un Parlement où les verts donnent le ton, les représentants français n’étant pas en reste (3), campent un contexte éminemment défavorable à l’atome.
Mais jusque là, comme dit, peu de leviers existaient pour interférer avec les choix énergétiques des États jusqu’à l’avènement génial de la « taxonomie verte », réifiant les critères de la bien-pensance écologique, en listant les investissements qui pourront être éligibles au soutien financier de l’Europe, car reconnus aptes au service des grands enjeux écologiques qu’elle affiche.
Après des atermoiements de façade, le nucléaire, pourtant levier majeur pour produire de l’électricité sans émissions de CO2, n’a pas été retenu dans cette liste, malgré un avis très positif rendu par le CRC européen, officiellement consulté. A contrario, le gaz naturel, pourtant un émetteur majeur de GES (CO2 2 + fuites ) va y entrer par parrainage, au motif qu’il peut se substituer au charbon, deux fois plus émetteur… une conversion que le nucléaire pourrait réaliser sans émissions du tout… mais le nucléaire est pesteux, ses électrons galeux, et tant pis pour le climat !
Surréalisme stratégique
Alors que les Institutions européennes viennent de rehausser encore les objectifs de réduction d’émissions de GES (4), affirmant ainsi un leadership mondial pour la cause du climat, c’est le moment qu’elles choisissent pour exclure l’énergie nucléaire de la taxonomie verte.
Ces décisions, qui paraissent antinomiques, sont au contraire logiques, car il s’agit pour l’Europe d’affirmer qu’elle peut être plus ambitieuse encore en matière de réduction des émissions de GES, tout en renonçant à s’appuyer sur le nucléaire, l’énergie du passé, sortant ainsi de l’épreuve par le haut, sans compromission avec l’atome honni.
Il s’agit de gagner définitivement, la bataille idéologique menée contre le nucléaire depuis bien des années, en affirmant son inutilité dans une joute décisive, espérant que les opinions y verront du courage et de la résolution, plus que de la témérité.
Mais, pour afficher des objectifs de réduction d’émissions aussi irréalistes, les décideurs européens ne semblent guère craindre le bon sens de ladite opinion, confiants dans l’efficacité d’un conditionnement idéologique, très efficace.
Alors, puisque l’objectif des écologistes est, en priorité absolue, de faire une guerre sans merci au nucléaire, pourquoi ne pas pousser leur avantage dans ce contexte rendu aboulique, et lui porter l’estocade, en lui ôtant tout avenir sur le continent, en le privant des ressources financières dont il a besoin.
L’occasion fabriquée est belle, le résultat est hélas sans surprise.
Surréalisme pratique
La décision d’exclure le nucléaire est totalement politique, les critères techniques, s’agissant de la cause du climat, l’identifiant comme l’un des leviers les plus efficaces, il a donc fallu recourir à l’artifice (la non maîtrise des déchets, son caractère non durable,..) pour habiller un peu la décision, même si, comme dit supra, le risque que l’opinion regimbe est bien faible.
La Commission a adopté fin avril un ensemble de mesures qualifié de complet et d’ambitieux visant à mieux orienter les flux de capitaux vers des activités durables dans l’ensemble de l’Union européenne.
En particulier, « l’acte délégué » relatif au volet climatique de la taxinomie de l’UE, vise à promouvoir les investissements durables qui contribuent le plus à la réalisation de ses objectifs environnementaux .
Elle dresse la liste des processus éligibles qui pourront donc, reconnus avoir une incidence positive notable sur le climat et l’environnement, bénéficier de la manne communautaire, le nucléaire n’y figure pas.
After my bootcamp my next goal is learning how to cook, tofu-mushroom-spinach everyday is no longer it 🙊
— Vince Baylon Tue Jul 20 03:14:36 +0000 2021
Diversion fallacieuse
Parallèlement on a rapproché deux autres « prétendants » dans une instruction parallèle qui reste à mener : le nucléaire dont on doit, à bon droit, s’étonner de son éviction de la première liste (objet de l’acte délégué), et le gaz naturel, dont on se demande comment, dans sa situation d’émetteur massif de GES, il peut prétendre à une éligibilité.
Il s’agit évidemment de fabriquer un prétexte pour éliminer le nucléaire, en le plaçant, en compagnie du gaz naturel, dans le camp des refusés, deux poids lourds énergétiques que l’Europe, dans sa détermination et dans son incorruptibilité, n’hésiterait pas à écarter de sa taxonomie verte.
En réalité, c’est une bien curieuse manière de ne pas trancher le nœud gordien en assimilant les inconvénients supposés du premier, aux défauts rédhibitoires de l’autre. Dit autrement, le nucléaire devrait se consoler d’avoir échoué en très bonne compagnie.
Mais la réalité est plus torve, car les attendus du jugement communautaire montrent qu’on demande juste au gaz naturel d’attendre son heure, placé qu’il est en « pole-position » sur la liste d’attente, et qu’un régime ad hoc lui sera très bientôt garanti, tandis que pour le nucléaire, c’est l’escalier des gémonies qui l’attend. Un nucléaire vert et durable, en effet, quelle incongruité !
Comme dit déjà, on atteint au comble de l’hypocrisie, le gaz étant adoubé comme substitut efficace au charbon, alors que le nucléaire offre, sur ce plan, une solution radicale.
Atonie, voire trahison française
La France est concernée au premier chef par ces manœuvres de torpillage du nucléaire, celui-ci étant le socle de sa production d’électricité. Assurer un avenir à la filière est donc vital, même si la PPE hexagonale(5) prévoit qu’on réduise à moyen terme, la contribution nucléaire dans la production électrique, des trois quart (actuellement), à la moitié (en 2035), en faisant monter les renouvelables en puissance, le nucléaire assurant le back-up de leur intermittence.
Mais viendra l’heure du gaz, seul recours possible quand on arrêtera progressivement les réacteurs, une perspective bien en phase avec la logique de la taxonomie bruxelloise !
Est-ce une perte de crédit de la France au niveau des orientations européennes, un manque de volonté politique à l’heure du « en même temps », voire un opportunisme délétère s’agissant de ruiner le devenir du nucléaire national ? Reste que le résultat est là.
Seul signe tangible de résistance, la France a signé, avec six autres pays européens(6) un courrier adressé à la Commission, appelant à comprendre le nucléaire dans les moyens de lutte contre le réchauffement de la planète et donc à l’inclure dans la taxonomie verte.
Il est notable que les Pays-Bas, qui pourtant n’ont pas exclu le nucléaire de leur futur énergétique (le gisement gazier de Groningue s’épuisant), ne se soient pas associés à la démarche, certes dans un contexte électoral, mais sans doute sous influence allemande.
Un ensemble de pays, représentant une certaine proportion et une certaine diversité de la population européenne peut bloquer des décisions communautaires (7), mais la sortie du RU et l’abstention des Pays-Bas, ne permettent plus, en l’occurrence, de réunir les conditions d’un blocage effectif autour de la proposition des sept pays précités.
Ce courrier est en conséquence resté lettre morte et n’a pas entravé la publication officielle d’une liste des éligibles à la taxonomie verte qui n’inclut pas le nucléaire.
C’est donc un échec patent, mais s’est-on vraiment battu, le Président s’est il suffisamment impliqué (to make our planet great again) ?
Il est de notoriété publique, que nombre de nos représentants nationaux au Parlement et dans les différentes instances ne voient pas d’un mauvais œil le coup porté au nucléaire européen, cette technologie étant volontiers agonie et méprisée, par comparaison avec la modernité renouvelable (solaire et éolienne) et son prolongement, autant magique qu’artificiel, l’hydrogène.
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(1) Ursula Von der Leyen, Présidente de la Commission Européenne, ancienne Ministre allemande de la Défense (CDU).
(2) Frans Timmermans, Néerlandais, parti travailliste, VP exécutif de la Commission Européenne, en charge de l’application du « pacte vert » (1000Mds€ sur 10 ans)
(3) Pascal Canfin : Ancien Ministre délégué a développement dans le gouvernement Ayrault , Pdt de la Commission de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire du Parlement européen.
(4) (-55%) de rejets de CO2 en 2035 par rapport à 1990 (date de référence choisie au moment de la chute du mur de Berlin)
(5) PPE : « Programmation Pluriannuelle de l’Energie », déclinaison calendaire par objectifs de la LTECV de 2015.
(6) Sept chefs d’État et de gouvernement (France, Hongrie, Pologne, République tchèque, Roumanie, Slovaquie et Slovénie) ont signé une lettre adressée à la Commission européenne, rendue publique jeudi 25 mars. Ils y appellent Bruxelles à inclure le nucléaire dans ses politiques climatiques et énergétiques.
(7) Pour s’opposer à un texte en discussion au Conseil de l’UE, les États membres ont la possibilité de constituer une “minorité de blocage” s’ils sont au moins 4 Etats et qu’ils représentent au moins 35% de la population européenne ou 45% des États (13 pays).