Un jour en France : 22 équipes de Match en immersion
En ce jour J choisi au hasard du calendrier, parachutés partout dans l’Hexagone, nous nous demandions quel pouvait être le moral de nos compatriotes. En 1949, sortie d’une guerre éprouvante, la France qui vit apparaître Paris Match se contentait d’un «rien» : la paix. Soixante-dix ans plus tard, le pays semble une mosaïque que seuls la grogne et les drames rassemblent.
L’horloge marque 0h40 quand, après 25 kilomètres de route, Clémence et Geoffrey se garent devant le CHU d'Angers. Il y a sept décennies, Paris Match vantait les mérites de la présence du mari lors de l’accouchement, «un médicament psychologique». C’est désormais la norme. Après la douche, cheveux courts, visage rond, Clémence s’étend sur des draps jaunes. La nuit va être longue.Soixante-dix ans plus tôt,une unique «méthode de détente morale et physique» était proposée aux parturientes. 2h04. Clémence sourit, la péridurale fait effet.
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Pour Cristel Ruiz, 42 ans, charcutière, le réveil a sonné à 3h30. Dans l’un des plus grands Carrefour de France, près d’Aix-en-Provence, il lui faut trois heures pour mettre en place le rayon charcuterie-fromage-rôtisserie, préparer ce «prêt-à-manger» toujours plus demandé. Bientôt défileront 10 000 clients. Les tranches qu’elle coupe sont, dit-elle, de plus en plus fines, parce que certains, «de plus en plus nombreux», veulent payer moins cher.
5 heures Dans la mine de sel de Varangéville (Meurthe-et-Moselle). Photo : Pierre Terdjman
6h47 Michaël, 41 ans, docker à Marseille, est aussi peintre et tatoueur. Photo : Manuel Lagos Cid
Il est 5 heures, Varangéville s’éveille. La commune de Meurthe-et-Moselle vit au rythme de sa mine, la dernière de France. Casque sur la tête, Denis Lhomme et Philippe Colombi, contremaître, s’«encagent» dans l’étroit ascenseur qui les emporte 160 mètres sous terre. «On est les derniers représentants d’une époque, souligne Denis. Ça fait bizarre.» En bas, l’air sec est iodé. Dans un vacarme assourdissant, une haveuse des années 1960 attaque la roche. «Avant, regrette Denis, la mine, c’était une passion, un mode de vie. On était considéré.» Il raconte la solidarité des hommes quand il fallait relancer le pays,après guerre.A présent, ils tirent 450 000 tonnes de sel par an, dont la plus grande partie sert au déneigement. Mais depuis six ans,c’est la crise : «On n’a plus d’hiver.»
A Cannes, c’est l’éternel été. Et le Festival! De 75 000 habitants en temps normal, la ville passe à 200 000. Hier, sur la Croisette, son maire était avec Leonardo DiCaprio et Brad Pitt. Ça ne lui a pas tourné la tête. David Lisnard a débuté sa tournée dès 5 heures. De retour à son bureau de la mairie, ce marathonien lit le rapport de sécurité de la nuit. Derrière les paillettes, Cannes reste une ville de contrastes. Ecarts de revenus et différences générationnelles sont considérables. On y trouve au passage la seule usine de fabrication complète de satellites en Europe. Les pieds sur terre, la tête dans les étoiles...
6h50 Stéphanie Roussel, vigneronne en biodynamie à Romestaing (Lot-et-Garonne). Photo : Claire Delfino
7h07 Stéphanie Maubé, 39 ans, éleveuse de brebis à Saint-Germain-sur-Ay (Manche). Photo : Eric Hadj
«Je vais chercher du café, vous en voulez?» 5h40. Yann Leroux, 47 ans, commandant du vol Air France AF7516, prépare sa feuille de route. Avec 1,8 million de voyageurs par an, dont la plupart pour affaires, la navette Paris-Toulouse est la plus importante ligne aérienne d’Europe. 6h05. Le jour se lève sur le port du Guilvinec, en pays bigouden. Dans sa cotte à bretelles, Scarlette Le Corre, 64 ans, démarre «Mon Copain JP», un canot de 7 mètres qui la porte en mer depuis trente ans. Bientôt, des araignées pleines, de magnifiques homards, des soles remontent dans ses filets. Pour cette fille et petite-fille de marins pêcheurs, le métier a de l’avenir : «Avec les réformes, les quotas, nous avons regagné 20% de poissons en plus.»
Stéphanie diffuse du Chopin et du Queen à ses ceps vieux de cent ans
6h47. Entrée de la porte C d’un autre port, celui de Marseille Fos. Après une nuit de mistral, la Méditerranée se calme. A l’époque du premier numéro de Paris Match, ils étaient des milliers de dockers, «chiens des quais», à œuvrer autour des hangars que 2000 mines allemandes avaient ravagés. Aujourd’hui, les dockers s’agitent toujours. Mais, soutenus par des monstres d’acier, ils sont désormais moins de mille. Certains s’y succèdent depuis cinq générations. D’ici on part vers tous les océans, et on se bat pour que rien ne change.
Sur une parcelle de cabernet sauvignon, une femme ôte à la main les bourgeons inutiles. Il est 6h50 sur les terres du Château Lassolle, dans le Lot- et-Garonne, et Stéphanie Roussel couve ses 9 hectares de vignes comme des enfants. Au rythme du soleil et de la lune, comme le faisaient ses pairs en 1949. Mais avec plus de fantaisie. Depuis son tracteur, elle diffuse à ses ceps –les plus vieux ont 107 ans– du Chopin ou du Queen : «Ça leur fait du bien.» Stéphanie n’a pas attendu l’explosion du marché du vin bio –qui progresse en moyenne de 20% par an depuis 2010– pour renoncer aux engrais et pesticides. Ce printemps 2019, il fait doux mais elle redoute le pire. Comme cet orage violent qui s’est abattu sur la région le soir où la France a remporté la Coupe du monde de foot. Elle et 3000 viticulteurs avaient perdu leur récolte. Difficile de se relever.
7h20 Scarlette Le Corre, 64 ans, marin pêcheur au Guilvinec (Finistère). Photo : Pascal Rostain
7h48 Yann Leroux, commandant, et Xavier Delvaux, copilote, à Air France, à bord d'un Airbus A320 qui fait la navette Paris-Toulouse. Photo : Véronique de Viguerie
Dans l’usine Noyon Dentelle, le bruit est assourdissant. Frédéric Delhaye, le contremaître, ne porte rien pour se protéger les oreilles. Sinon, comment saura-t-il si quelque chose cloche? Il a embauché à 7 heures. Sous sa responsabilité, une cinquantaine de machines centenaires de fonte et d’acier, piquées aux Anglais, qui ont fait la réputation de la dentelle de Calais. Frédéric pratique le métier depuis plus de trois décennies. «Dans dix ans, plus personne ne saura faire ce qu’on fait», dit-il, un peu triste.
Après onze ans de vaches maigres, Stéphanie Maubé, bergère et maman solo dans la Manche, parvient à peine à se verser le montant d’un smic. Sept jours sur sept, dès 7 heures, elle arpente les pâturages où ses brebis avranchines broutent une herbe recou- verte deux fois par mois par les grandes marées du Cotentin. L’agriculture intensive et la politique agricole commune ont, en soixante-dix ans, complètement changé son métier. Stéphanie le regrette et conseille de consommer «local et de saison». Elle est optimiste : «Des gens comme moi, il y en a de plus en plus.»
Alexandre, 17 ans, se tient dans le rang du piquet d’honneur, Famas en sautoir
A l’heure où beaucoup d’autres ados dorment encore, Alexandre, 17 ans, se tient dans le rang du piquet d’honneur, Famas en sautoir. «Attention pour les couleurs!» Il est 7h58. Dans le clair-obscur de la place d’armes du Centre d’instruction naval de Brest, les 185 élèves de l’Ecole des mousses sont au garde-à-vous. Ils ont quitté le parcours scolaire pour «de l’action». Dans cette école rouverte en 2009 dans le cadre du plan «égalités des chances», ils sont servis. En huit mois, ils ont passé leur permis côtier et leur certi cat d’aptitude au tir. Les mousses sourient et s’accrochent à leur devise : «Sois toujours vaillant et loyal.»
8 heures. Le vol AF7516 entame doucement sa descente vers Toulouse-Blagnac. «Ça passe vite, dit Yann Leroux. Regardez là-bas, au fond, c’est la chaîne des Pyrénées.» Atterrissage en douceur, quarante-cinq minutes plus tard. Après une pause, le pilote enchaînera : Paris à nouveau, puis Lyon. «Je ne me lasse pas. Notre pays est si beau!»
8h20 Cérémonie du drapeau pour les élèves de l'Ecole des mousses, au Centre d'instruction naval de Brest. Photo : Corentin Fohlen / Divergence
8h45 Petit déjeuner offert aux élèves de CP à l'école Voltaire d'Arras (Pas-de-Calais). Photo : Pierre Morel
9h28 Christophe Moser, 45 ans, courtier en Bourse à Paris. Photo : Albert Facelly / Divergence
8h05, Arras. De grands sacs remplis de pain, de confitures, de fruits et de lait attendent les dix-huit enseignants de l’école Voltaire, classée en éducation prioritaire. Depuis avril, tous es mercredis, 335 élèves prennent le petit déjeuner en classe. C’est une des mesures du «plan pauvreté» du gouvernement. En 1954, déjà, le président du Conseil, Pierre Mendès France, décidait de distribuer un verre de lait aux écoliers. A Voltaire, l’équipe pédagogique se cotise depuis longtemps pour avoir une réserve de yaourts à donner aux enfants qui arrivent le ventre vide. Le revenu moyen des parents de cette école ne dépasse pas 800 euros, soit en deçà du seuil de pauvreté.
Les bureaux de Louis Capital Markets ont pignon sur rue dans le périmètre le plus cher de Paris. Il est 9h32 dans l’open space de cette société de courtage. Des kilomètres de chiffres et de graphiques défilent sur les moniteurs. Stressant? «Le stress, c’est de n’avoir rien à faire», explique Christophe Moser, 45 ans. Fini le mythe du trader façon Wall Street des années 1980 : «C’est une population vieillissante, assagie. Et les marchés sont devenus très réglementés, ce n’est plus le Far West.»
De l’or encore... Au cœur du bois de Vincennes, la France qui gagne entre en piste à 9h45. L’ancêtre de l’Insep, fabrique de champions olympiques, fut créé par de Gaulle pour effacer les résultats médiocres de nos athlètes aux JO de Rome en 1960. Au programme pour Teddy Riner (2,04 mètres, près de 140 kilos): 150, 200, 300 mètres en courses fractionnées, sur une pente à 8 degrés. Après trente minutes d’effort, le colosse s’écroule. «C’est dur, mais je sais que j’en ai besoin», reconnaît le judoka, qui s’entraîne pour rafler de l’or aux JO de 2020... à Tokyo !
9h45 A Paris, Teddy Riner, 30 ans, judoka, dix fois champion du monde. Photo : Patrick Fouque
10 heures Festival de Cannes, le maire, David Lisnard, 50 ans, au centre de vidéosurveillance de la ville. Photo : Enrico Dagnino
9h54. Au CHU d'Angers, Nathanaelle, 35 ans, s’apprête à vivre sa troisième césarienne. En moins de dix minutes, Paul émet son premier cri. A 10h52, Clémence met Jeanne au monde. Ils auront 70 ans en 2089.
10h11 Bienvenue à Paul. Nathanaelle et son nouveau-né à la maternité du CHU d'Angers. Photo : Laurence Geai
Parenthèse météo : la situation devient plus stable sur la France, avec une poussée anticyclonique au nord-ouest. Températures en hausse. Au centre national de prévision Météopole, à Toulouse, les ingénieurs chargés d’alimenter la base de données sont sur le qui-vive. Le moindre aléa atmosphérique à l’autre bout de la planète peut, en quelques heures, avoir des répercussions sur le territoire. «Globalement, les phénomènes sont plus intenses», constate Marie-Claire Baleste, chef prévisionniste.
"Je n'ai jamais eu honte de dire que j'étais éboueur"
Il y a soixante-dix ans, le chômage concernait moins de 0,6% de la population. Agence Pôle emploi de Cenon (Gironde), 10h55. Julie Albouze, 33 ans, une parmi l’océan des 2,4 millions de sans-emploi recensés en France en 2019, a rendez-vous pour la première fois avec sa conseillère. Julie, sans bac, se verrait bien graphiste, voire à son compte. Grâce à une progression dans les secteurs de la construction et des services, le taux de chômage vient de tomber à 8,7%, son plus bas niveau depuis 2009. Pourquoi pas l’hôtellerie? Julie ne parle pas l’anglais. Qu’à cela ne tienne, Anne a une solution : une formation, payée par la région, à condition de se dédier aux métiers du tourisme. Avant cela, Julie devra revoir son CV.
A Limonest, en banlieue de Lyon, bientôt 11 heures. Au volant du camion, Mehdi, 36 ans, regarde ses coéqui- piers vider les poubelles vertes : «Je n’ai jamais eu honte de dire que j’étais éboueur. On travaille dehors, on a nos après-midi pour s’occuper des enfants, c’est idéal!» En novembre dernier, ils ont pourtant fait grève trois semaines, pour un meilleur salaire. «La France, en 2019, c’est chaud! Notre pouvoir d’achat a énormément chuté...» En France, 108 000 éboueurs jettent quotidiennement nos ordures ménagères : 573 kilos par an et par habitant. Trois fois plus qu’il y a soixante-dix ans!
10h20 La pause pour Mehdi Z., 36ans, Tayeb Boukdir, 32 ans et Najib Azzi, 36 ans, éboueurs dans la métropole lyonnaise. Photo : Ilan Deutsch
10h30 Le jeu de la collecte de déchets autour d'Ariane Ringenbach, à Fort-Mahon-Plage (Somme) Photo : Kasia Wandycz
10h55 Rendez-vous à l'agence Pôle emploi de Cenon (Gironde) pour Julie Albouze (de dos), 33 ans. Photo : Claire Delfino
En ce temps-là, sur l’immense plage de Fort-Mahon (Somme), il n’y avait que du sable. Aujourd’hui, dauphins et phoques s’échouent souvent, le ventre gonflé de déchets, sans parler des oiseaux de haute mer morts étouffés par du plastique... Ce matin, la petite troupe du collectif Info littoral propre, créé un an plus tôt, s’élance pour ramasser les déchets. En tête, Ariane Ringenbach, sa fondatrice : «C’est comme si les humains avaient fait une grosse fête avec du plastique pendant des dizaines d’années. Et maintenant la fête était finie!»
11h45. Saint-Saulve (Nord). Pâle, Cédric Orban, 59 ans, président d'Ascoval, a tombé la veste. La barquette de myrtilles posée sur son bureau est intacte. Accaparé par son écran d’ordinateur, il vient d’apprendre la liquidation judiciaire de British Steel, troisième repreneur de son aciérie en deux ans. Le sort s’acharne. A haute voix, il relit le communiqué de presse préparé par Bercy. Il se veut rassurant : Ascoval ne serait pas directement concerné, puisque ce n’est pas British Steel mais sa maison mère qui vient d’acquérir le site. Mais, à l’usine, personne n’est rassuré. Les 270 salariés savent bien que les sites auxquels ils vont désormais fournir leur acier seront affectés. Ils croyaient pourtant à la reprise signée le 15 mai. Les premiers fonds et financements publics commençaient à arriver. «C’est un chemin difficile, les gens en ont marre. Mais, pour l’heure, on ne peut pas planter nos clients», répond Cédric Orban à un collaborateur venu lui indiquer, la mine livide, que «ça chauffe» dans l’aciérie.
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— RUNNING BEAR Sun Aug 20 23:08:44 +0000 2017
11h55 Grégoire Minday, 34 ans, éleveur et ex-zadiste, à Notre-Dame-des-Landes. Photo : Benjamin Girette
12 heures François Cohendet, maire de Ferrette (Haut-Rhin), et des familles de migrants accueillies dans sa commune. Photo : Pierre Terdjman
Il est midi à Ferrette, aux confins de l’Alsace. Quand il a voulu accueillir 80 migrants dans une caserne abandonnée de sa commune, en 2016, le maire a dû affronter une fronde. «Ils vont apporter des maladies, violer nos filles, prendre nos boulots...», écrivaient les opposants sur les réseaux sociaux. Septuagénaire, François Cohendet croyait avoir tout entendu : «J’ai été surpris, démoli par cette haine viscérale.» Mais d’autres voix se sont élevées. Celle du curé, du médecin, de voisins... Les deux premiers migrants, soudanais, sont arrivés «en tongs, sous la neige, terrifiés». Des Syriens, des Africains, des Afghans en demande d’asile ont suivi. Une association pour canaliser l’aide massive a été créée. Aujourd’hui, tout n’est pas rose. Mais pour le maire, «ça valait le coup».
Bientôt l’heure du déjeuner à Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique). Ils ont délaissé les travaux des champs pour l’«espace commun» dans la maison de bois construite en 2016. Autour de la table, il y a Loïc, chargé de la forêt environnante, Claire en train de préparer des galettes de sarrasin, et son com- pagnon, Grégoire, 34 ans, éleveur en bleu de travail, qui vient de passer la matinée «dans la paperasse». Ex-zadistes, ils sont arrivés «quand ça chauffait» et ne sont jamais repartis. La résistance, dans cette «campagne rouge», est une tradition : «Elle remonte au Moyen Age et s’est poursui- vie après guerre avec la Jeunesse agricole chrétienne et les maoïstes», dit Grégoire. Dans une autre vie, ce Parisien ouvrier dans le BTP est passé à plusieurs reprises par la case prison, incarcéré pour braquage ou pour violences lors d’une manifestation. La précarité grandissante, les formes de salariat «déshumanisant», l’agriculture intensive «entre les mains des lobbys et de l’Etat qui laisse faire» cristallisent leur colère. «Ici, on développe des réseaux de distribution accessibles», ravitaillant migrants, grévistes et gilets jaunes. Victorieuse contre l’Etat, la Zad a auprès de certains sa petite aura.
12h15, à la terrasse d’un café de Nogent-sur-Marne. Avec ses places bordées de palmiers, la sous-préfecture du Val-de-Marne a des airs de cité balnéaire. Mais Clément Dezenclos n’est pas en vacances. Le jeune homme de 19 ans commande un expresso, prêt à sauter sur son VTT au premier appel. A 2 euros la course, et 1 de plus par kilomètre parcouru, le temps compte. Depuis qu’il a renoncé à poursuivre son BTS audiovisuel, Clément est coursier pour Uber Eats, enregistré comme microentrepreneur. Doté d’un gros sac à dos et de l’application mobile Uber, cinq jours par semaine minimum, à raison de cinq ou six heures, le voilà pédalant, option la plus économique, pour acheminer burgers, pizzas ou plats sans gluten. «Là, je suis à un peu plus de 3000 euros de chiffre d’affaires», calcule-t-il. Par mois? «Non, depuis cet hiver.» Libre du choix de son périmètre et de ses horaires, il ne s’éloigne jamais du secteur de la mairie, bien pourvu en restaurants. Deux millions de commandes sont livrées en France chaque semaine, un chiffre en constante augmentation, mais la concurrence est rude. Dans un marché estimé à 2,4 milliards d’euros, Uber Eats l’américain et Deliveroo l’anglais revendiquent chacun une «flotte» de 10 000 coursiers.
12h15 Clément, 19 ans, livreur Uber Eats à Nogent-sur-Marne (Val-de-Marne). Photo : Albert Facelly / Divergence
14 heures Pierre Delassus, 68 ans, médecin médiateur au CHU de Caen. Photo : Eric Hadj
14h15 Examen pour les étudiants qui passent le certificat Voltaire à l'école universitaire de management, à Clermont-Ferrand. Photo : Vlada Krassilnikova
12h57. Retour à Ascoval. Le nom de Xavier Bertrand s’affiche sur le téléphone du patron de l’aciérie. Le président de région vient aux nouvelles. Peu après, nouveau coup de fil. C’est un syndicaliste annonçant qu’ils envisagent de demander l’annulation de la reprise. «Si on ne fait rien, cela risque de mal se terminer», lâche Cédric Orban. Mais quelques heures plus tard, le four électrique se remettra à chauffer, et les ouvriers à espérer.
Reste la possibilité d’une île... Celle de Quéménès, éloignée du monde quand la mer d’Iroise se montre capricieuse, est soudain visible au large du Finistère à 13h08. Marée basse. Ni électricité ni eau courante, au départ. Rien qu’un puits qui en découragea plus d’un. Le Conservatoire du littoral, devenu propriétaire, y a installé éoliennes et panneaux solaires en 2003 dans l’idée d’y rétablir l’homme. Quinze ans et un couple de locataires plus tard, Amélie et Etienne, la trentaine, aspirant à un changement de vie radical, investissent pour neuf ans le caillou paradisiaque et sa terre fertile. Une ferme, dix chambres d’hôte... et ce troupeau de moutons rustiques des landes de Bretagne, grâce auxquels ils ont remporté l’appel à candidatures. Vivre au rythme de la nature? «Extraordinaire!» assurent les nouveaux Robinsons.
"En 1949, on ne prolongeait pas la vie par des traitements, puisqu’ils n’existaient pas, et on souffrait bien plus..."
A l’université Clermont-Auvergne, 14h15, début de la dictée : «Les bébés affamés criaient à côté de moi...» Cinquante-trois étudiants en licence professionnelle banque, un échantillon parmi 1 642 200 inscrits dans les universités de France, rigolent. Pas de stress : non comptabilisé dans leur moyenne, cet examen a pour seul objet de certifier qu’ils maîtrisent le français. Ce n’est pas gagné : selon une étude, sur un même texte de 67 mots et 16 signes de ponctuation livré à des enfants d’une même classe d’âge, le nombre d’erreurs est passé de 10,6 en 1987 à 17,8 en 2015. Les jeunes écrivent –et parlent– de moins en moins bien.
Après quarante ans à la tête du service de soins palliatifs du CHU de Caen, quand est venue l’heure de la retraite, le Dr Pierre Delassus a souhaité rester actif en devenant médiateur médical. Quatre matins par semaine, dont aujourd’hui, ce poste le plonge au cœur de la crise de l’hôpital. Les patients, selon Pierre, sont de plus en plus exigeants et méfiants. Alors, il écoute, désamorce, explique. Avant la loi Leonetti sur la fin de vie, beaucoup de plaintes concernaient l’acharnement thérapeutique, souvent mis en cause. Depuis sa promulgation, en 2005, c’est le contraire : les familles acceptent difficilement l’arrêt des soins. En soixante-dix ans, ce sujet est devenu un enjeu primordial. «En 1949, on ne prolongeait pas la vie par des traitements, puisqu’ils n’existaient pas, et on souffrait bien plus... Naturellement, Vincent Lambert serait mort très vite», dit le médecin.
CHU Sébastopol, Reims. Sur injonction de la cour d’appel, Vincent Lambert est de nouveau artificiellement alimenté depuis quarante-huit heures. En ce début d’après-midi, dépité par cette décision, son neveu François reprend le cours des visites. Dans la chambre du 4e étage, il croise l’épouse de Vincent, Rachel, venue de guerre lasse remettre en route l’abonnement à la télévision. Tous deux, comme six autres membres de la famille et une quinzaine de médecins qui, depuis onze ans, se penchent sur le cas, sont convaincus que Vincent est «sans conscience». Ils voudraient que ça s’arrête.
14h30 Bilel Chegrani, 19 ans, acteur, à la Grande Borne (Grigny), où il est né. Photo : Vincent Capman
14h35 Amélie Goossens et Etienne Menguy, 32 ans, dans leur champ de pommes de terre sur l'île de Quéménès (Finistère). Photo : Pascal Rostain
Grigny (Essonne), 23 kilomètres au sud-est de Paris. Pauvre, enclavée, désindustrialisée, surendettée, voici, d’après le dernier rapport de la Cour des comptes, «l’une des villes les plus déshéritées» de France. 14h30. Au lieu-dit l’Escargot, cité de la Grande Borne, Bilel Chegrani, 19 ans, dernier d’une fratrie de sept originaire de Kabylie, se promène entre ces immeubles courts sur pattes qui serpentent sur des kilomètres, aux quatre coins desquels sont plantées les fourgonnettes de flics : «290 hectares, 18 000 habitants. Ici, on naît pauvre. Donc, la pauvreté, tu ne la sens pas, puisque tu es comme les autres.» Chaleur et ramadan semblent ramollir les mouvements des passants. Lui, vif, intelligent, se meut comme un petit félin dans son jogging Nike. Comment a-t-il pu s’extraire de là, devenir acteur? «Ma mère m’a envoyé acheter du lait. Vous avez vu “Divines”? Je suis tombé sur la méchante du film, Jisca Kalvanda. Elle m’a dit : “Viens faire du cinéma.”» La chance, et ensuite un rôle dans la série «Engrenages». Bilel accroche la lumière, c’est comme ça, une sorte d’injustice. Ses frères aînés ont glissé sur la mauvaise pente : «Ils m’ont dit : “Bilel, tu fais dans un film ce qu’on fait dans la vie...” Ils sont grands, ont choisi. Je sauve un peu le nom.» Il salue les copains : «Bien ou quoi? Ce soir, on joue à la PlayStation?» Et glisse : «J’ai toujours été heureux là.»
14h53 Au thé dansant du Memphis, à Paris, Martine David, 70 ans, et Jacky Rigail, 82 ans. Photo : Albert Facelly / Divergence
15h07 Les deux Elise : l'arrière-grand-mère, 105 ans, et la petite dernière, 3 mois, à l'Ehpad de Châtelaudren (Côtes-d'Armor). Photo : Philippe Petit
«Bon anniversaire, Paris Match! Le journal favori des Français.» Rayonnante, Elise Le Page, 105 ans, salue notre magazine auquel elle a longtemps été abonnée et où travaille sa petite-fille, Anne-Laure Le Gall. Ce mercredi après-midi, dans la résidence du Leff, à Châtelaudren, dans les Côtes-d’Armor, Elise porte un béret blanc, qu’elle replace délicatement. La presse, c’est toute sa vie, comme celle de nombreux anciens de Châtelaudren, où elle est née en 1913. L’imprimerie du «Petit Echo de la mode», où elle a été correctrice, était le principal employeur de la ville. Veuve, comptant parmi les 21 000 centenaires français, Elise a dû laisser sa maison il y a quelques années pour s’installer, à reculons, dans l’Ehpad public de la commune. Les récents scandales de maltraitance, de conditions de vie indignes de nos aînés, ont jeté l’opprobre sur l’ensemble de ces établissements. Mais ici, à Châtelaudren, les 59 résidents se connaissent depuis toujours et ça se passe bien.
Khamel T., récidiviste, erre dans la salle des pas perdus de la cour d'appel de Bordeaux
«Je suis chauffeur routier. Sans le permis, je ne suis plus bon à rien.» Dans la salle des pas perdus, Khamel T., 53 ans, erre, hagard. Son casier judiciaire ne plaide pas en sa faveur : sept condamnations, dont cinq antérieures aux faits. C’est un récidiviste, comme quatre condamnés sur dix. Dans un instant, on va le juger pour ces faits, remontant à 2016, que la présidente énumère devant la cour d’appel de Bordeaux. Ce jour-là, Khamel avait trop bu. Quand une jeune fille a percuté sa voiture et est partie sans rien dire, il l’a suivie, insultée et menacée de mort, a frappé son père qui s’interposait. Les gendarmes sont arrivés. Ne réussissant pas à le calmer, ils ont utilisé un taser. Khamel est tombé, sa tête a heurté le sol. «J’étais dans le coma, raconte-t-il à la barre. Je suis resté deux mois en soins intensifs.» Avec deux ans de prison dont un ferme requis, il fait appel pour sauver ce qui lui reste : un permis de conduire. «Ne le condamnez pas au désespoir», plaide Me Christian Blazy. L’affaire est mise en délibéré. Verdict le 25 juin.
La population de Paris, comme celle de la France, vieillit, avec un habitant sur cinq âgé de plus de 60 ans. Tous les jours sauf le week-end, non loin des Grands Boulevards, le Memphis fait le plein. Il est 15 heures. La déco de l’établissement, fondé en 1946, est à peine moins rétro que la clientèle. Assis sur des banquettes imprimées léopard, des silhouettes grisonnantes n’attendent qu’un slow pour envahir la piste. Parmi elles, Martine David, 70 ans, veuve, et Jacky Rigail, 82 ans, célibataire endurci. Depuis deux décennies, trois fois par semaine, jusqu’à la fermeture de 19h30, ils se retrouvent là. Musette, tango, paso, salsa et rock à gogo pour 9 euros, consommation comprise. «Ici, il y en a qui cherchent des petits câlins», assure Martine, qui se fait fort de ne pas flirter. Mais depuis qu’on drague sur Internet, ils redoutent un peu la disparition du Memphis.
15h17 A l'usine Noyon Dentelles, à Calais, la visite du contremâitre, Frédéric Delhaye, 51 ans. Photo : Kasia Wandycz
15h26 Autour du père Joseph, les irréductibles gilets jaunes du rond-point des Quatre-Chemins, à Somain (Nord). Photo : Pierre Morel
15h45 A la cour d'appel de Bordeaux, Khamel, chauffeur routier, et son avocat, Me Christian Blazy. Photo : Claire Delfino
16 heures. Venus des cinq continents et représentant quinze nationalités, les 600 salariés de la société Quiksilver et Roxy planchent sur les collections 2020 au sein du «campus». Qui mieux que la tribu des surfeurs a anticipé la vague d’aspiration massive à un mode de vie plus sain, plus écolo, plus cool? Fondée par deux Australiens, la marque emblématique a installé son siège à deux minutes de l’océan, en plein Pays basque, dès 1985. Les stratèges planchent dans ces bureaux cabanes, reliés entre eux par des passerelles sur lesquelles sèchent les serviettes de plage. Le matin, c’est téléconférence avec l’Australie et, le soir, avec les Etats-Unis. A la pause, les employés font du skate (pas dans les couloirs : c’est interdit). Sur l’écran géant de la cafétéria, des images de plages de la région permettent de guetter l’état des vagues. Quand l’endroit est vide, c’est qu’ils sont partis «rider»...
16 heures A Bidart (Pyrénées-Atlantiques), Miky Picon, responsable des athlètes sponsorisés par Quiksilver, Marc Lacomare, surfeur, et Zoé Grospiron, longboardeuse et égérie Roxy. Photo : Patrick Fouque
16h35 En attendant la fibre optique, les habitants de Moustier-Ventadour (Corrèze) captent le réseau devant l'église. Photo : Patrick Robert
Bientôt 18 heures sur le rond-point des Quatre-Chemins, à Somain (Nord), en pleine zone industrielle, un des 300 QG occupés par les gilets jaunes depuis novembre. Le combat continue! Partout en France, ils sont quinze fois moins qu’au début; mais eux persistent. Invalides, commerçants, retraités, conducteurs de bus, employés de mairie, agriculteurs, devenus amis, la vingtaine d’irréductibles se retrouve chaque jour devant une table vide. Le samedi, malgré des revenus serrés, ils n’hésitent pas à prendre la route pour aller manifester : Lille, Arras, Nantes, Paris... «On doit tous se remotiver», assène Valérie. Ici, il n’y a eu aucune violence. C’est ce qui a plu au père Joseph : «Je cherchais un rond-point paisible. Il faut permettre aux retraités de manifester aussi, sans qu’on leur casse la figure.» Laurent, ancien de chez Renault, craint les lendemains. Il a vu ses revenus mensuels diminuer de 120 euros. «A la fin de la dernière guerre, il y a eu le Conseil national de la Résistance, un projet de reconstruction, une justice, tout ça est remis en question», constate Jean-Pierre. «Je vais tout quitter, annonce alors Roussel, 56 ans, cheveux gris en brosse. Partir en Ardèche avec mes guitares et mes livres. Pas d’Internet ni de téléphone, revenir à l’essentiel...»
L’essentiel? A Moustier-Ventadour, en pleine Corrèze, l’un des départements les moins peuplés de France, on y est! Il est 18 heures, et Jacky, 60 ans, a du mal à capter du réseau : «Pour exercer mon métier de commercial en pharmacie, c’est très handicapant. Si j’avais su, je ne me serais sûrement pas installé ici.» Pour un peu de 4G, direction l’église, seul endroit du bourg où les portables fonctionnent, en attendant la fibre promise. Bienvenue en «zone blanche»... Daniel Bouyges, le maire, 71 ans, n’a jamais eu envie de partir. Pour les jeunes, il le reconnaît, c’est plus compliqué.
17h21 A l'aciérie Ascoval, à Saint-Saulve (Nord), le four s'est remis en marche. Photo : Pierre Morel
18 heures Cristel, charcutière dans un hypermarché, l'un des plus grands de France, en lisière d'Aix-en-Provence. Photo : Enrico Dagnino
19h15 Marc, propriétaire depuis onze ans du PMU L'Hippodrome, à Denain (Nord). Photo : Pierre Morel
Il est 20 heures. Depuis juin 1949, date du premier JT commenté en direct de Pierre Sabbagh depuis la rue Cognacq-Jay, c’est l’heure de la grand-messe pour des millions de Français. Face caméra, Gilles Bouleau se tient debout dans le studio de TF1. Gilles, qui opère depuis sept ans, triture un peu ses fiches ; 5, 4, 3, 2, 1... c’est parti ! Ascoval, un CRS jugé aux assises, les Français et le diesel, le triomphe du drive, la vie de château au Portugal... «Je dose les mauvaises et les bonnes nouvelles. La vie est déjà suffisamment difficile», glisse le journaliste trente-deux minutes plus tard.
Accoudé au comptoir du PMU de Denain (Nord), les yeux rivés sur la télé qui ne diffuse que des courses, Silvio, 56 ans, vient de miser sur un canasson. Derrière le tiroir-caisse, Marc, le propriétaire, se vante d’avoir réussi à déliser une clientèle dans une bourgade où il ne reste plus que huit troquets. Il y en avait le triple il y a vingt-cinq ans. C’est surtout grâce au tabac et aux jeux qu’il s’en sort.
A 31 ans, Florian a derrière lui des dizaines de milliers de kilomètres à travers l’Europe. Ce soir, il escalade les dernières marches de son poids lourd pour se faufiler dans la couchette, derrière son siège. Florian a ses petites habitudes. Il enfile ses chaussons, son costume de nuit, et étreint le nounours offert par sa compagne, Noémie. Il est 22 heures. Le silence s’abat sur le parking des environs de Châteauroux.
19h58 Gilles Bouleau avant le 20 heures de TF1 à Boulogne-Billancourt. Photo : Vincent Capman
22 heures Florian Daudon, 31 ans, chauffeur routier dans toute l'Europe pour une société de l'Indre, se couche. Photo : Alvaro Canovas
22h32 Laurent Voulzy en concert à l'église Saint-Eustache, à Paris. Photo : Vincent Capman
A Paris, à l’église Saint-Eustache, dans une ambiance recueillie, s’élève la voix de Laurent Voulzy, en concert. Une pop cool, mélodique, interprétée par le chanteur juvénile, né pourtant un an avant Paris Match. Il constate : «La technologie a dépassé nos mœurs. Un train-train était installé depuis les années 1950. Le microsillon, les 33-tours, la cassette, le CD... et, d’un coup, tout disparaît!» La nuit tombe sur Paris. Mais en Guadeloupe, d’où vient Voulzy, la soirée commence à peine. Qui a dit que la France dormait?
En vidéo, les coulisses de notre reportage
Les journalistes mobilisés
Rédaction en chef : Caroline Mangez
Reporters : Arnaud Bizot, Emilie Blachère, Jean-Michel Caradec’h, Popeline Chollet, Paloma Clément Picos, Pauline Delassus, Nicolas Delesalle, Caroline Fontaine, Alexandre Gerschel, Mariana Grépinet, Pauline Lallement, Anne-Laure Le Gall, Anne-Sophie Lechevallier, Audrey Levy, Arthur Loustalot, Gaëlle Legenne, Charlotte Leloup, Juliette Pelerin, Aurélie Raya, Margaux Rolland, Ghislain de Violet, Florence Saugues.
Photographes : Alvaro Canovas, Vincent Capman, Enrico Dagnino, Claire Delfino, Ilan Deutsch, Albert Facelly, Corentin Fohlen, Patrick Fouque, Laurence Geai, Benjamin Girette, Eric Hadj, Vlada Krassilnikova, Manuel Lagos Cid, Pierre Morel, Philippe Petit, Patrick Robert, Pascal Rostain, Pierre Terdjman, Véronique de Viguerie, Kasia Wandycz, Rafael Yaghobzadeh.