Le stockage d’énergie « en béton » : une utopie de plus
Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.Publié le 11 août 2018-A+
Par Michel Gay.
Une invention « incroyable » tourne en boucle depuis 2015 sur les réseaux sociaux (près de 900.000 vues à ce jour sur Facebook). Elle a même été citée par le Centre national de recherche scientifique (CNRS) lors la visite de la centrale solaire THEMIS dans les Pyrénées le 28 juillet 2018 !
Les grands groupes l’empêcheraient d’émerger car cette révolution nuirait à la consommation de pétrole. Son promoteur serait même menacé tellement son invention dérange.
De quoi s’agit-il ?
Il s’agit simplement d’un stockage d’électricité dans un volant d’inertie en béton combiné avec des panneaux photovoltaïques pour, selon son inventeur, rendre pilotable et économiquement viable leur coûteuse production électrique intermittente.
La présentation est suave et attrayante, mais pauvre
Cette habile présentation du stockage en béton est claire, courte, et convaincante pour la plupart des auditeurs non spécialistes, mais elle est pauvre en chiffres significatifs : il y en a trois.
Pour stocker environ 300 millions de kWh (300 GWh) afin de couvrir de façon autonome seulement 15% de la consommation hivernale de la France (en tenant compte des rendements et des pertes), il faudrait donc :
Le coût est passé sous silence
Seul le coût d’exploitation est fourni : 2 c€/kWh
Sans explication complémentaire, il s’agit probablement du coût du volant en béton, et non celui de l’’investissement complet (matériel et main d’œuvre inclus). Ce dernier devrait être au minimum de 1500 € par système.
Alimenter seulement 15% de la consommation hivernale de la France avec ce système de stockage inertiel en béton reviendrait à plus de… 200 Md€ !
À ce prix, et en supposant 1000 restitutions journalières complètes (sans frais supplémentaires ni entretien), chaque kWh restitué reviendrait à 20 c€, auxquelles il faut ajouter les coûts de production des panneaux photovoltaïques et les pertes.
Rappel : ce kWh produit actuellement par du nucléaire coûte moins de 4 c€/kWh sur le marché.
Pour faire bonne mesure, il faudrait aussi y ajouter le coût des centrales thermiques supplémentaires à gaz ou à charbon nécessaires pour compenser les fluctuations saisonnières…
Jacques Dutronc chantait : « Il est sympa et attirant mais, mais, mais, méfiez-vous, c’est… ».
Le stockage par inertie pour des « niches de sécurité »
Des dispositifs de stockage d’énergie par inertie (sans béton) existent déjà dans le monde. Ils servent principalement à maintenir la stabilité de réseaux d’électricité par des réactions rapides, allant de la microseconde à la minute.
Ils permettent aussi d’attendre la mise en route d’autres moyens plus conséquents (comme un groupe électrogène diesel) pour prendre le relais.
Dans ces cas là, les quantités d’énergies inertielles stockées sont souvent faibles et coûteuses, mais la plus-value sécurité est importante car l’évitement d’une coupure évite des dégâts catastrophiques (salle d’opération dans les hôpitaux, informatique,…).
Il semble donc bien que la présentation séduisante de cet ingénieur soit une ineptie, voire une utopie pour gogos, et qu’en matière de stockage massif d’énergie, l’avenir du béton résidera encore pendant longtemps dans les barrages hydrauliques.