Tout ce qui freine la maîtrise de la fusion nucléaire
Le 8 août 2021, en Californie, le National Ignition Facility a écrit une page important de la maîtrise de la fusion nucléaire. Comme le décryptait l'expert du CEA Daniel Vanderhaegen (qui ne fait pas partie de l'équipe américaine) dans un précédent article de Sciences et Avenir, cette expérience californienne a produit une quantité d'énergie proche du seuil d'ignition. C'est-à-dire que l'on s'approche du niveau où la quantité d'énergie fabriquée sera supérieure à celle nécessaire pour faire la fusion. Le dépasser n'est maintenant plus qu'une question de mois.
Mais la question du seuil d'ignition n'est pas le seul enjeu pour atteindre la possibilité d'un développement industriel. Car produire de l'électricité avec la fusion demeure "inaccessible avec nos technologies actuelles, mais d’ici quelques décennies, si une décision de s’orienter vers (cette technologie) est prise, c’est envisageable", expliquait M. Vanderhaegen. D'autres défis, en effet, sont encore à surmonter. Comment gérer les instabilités du plasma, la matière chaude en fusion ? L’acheminement, la fabrication et le traitement du combustible ?Et les matériaux irradiés ?... Sciences et Avenir passe en revue les casse-têtes qui entravent encore l'avènement de celle qu'on nomme souvent "l'énergie du futur".
Un mélange de deutérium et de tritium sert de combustible pour la fusion nucléaire
La réaction de fusion consiste à rassembler deux noyaux atomiques légers pour en créer un plus lourd : c’est le processus qui alimente le cœur des étoiles, telles que notre Soleil. Reproduire des conditions favorables à la fusion nécessite de chauffer le combustible à quelques centaines de millions de degrés Celsius. Pour cela, les scientifiques utilisent principalement deux techniques : le confinement magnétique, et le confinement inertiel. C’est dans cette dernière catégorie que le record a été battu cet été par les Californiens du National Ignition Facility.
Mais peu importe la méthode utilisée, le combustible reste le même : un mélange "DT", de deutérium et de tritium, deux isotopes de l’hydrogène. Ils contiennent respectivement dans leur noyau atomique, en plus du proton, un et deux neutrons. Porté à une température suffisante, le mélange peut commencer à fusionner : les noyaux de deutérium et de tritium s’assemblent, et produisent un noyau d’hélium et un neutron. L’hélium sert ensuite à entretenir la fusion, en maintenant une température suffisamment élevée grâce aux collisions qu’il effectue avec le combustible. Quant au neutron, il contient 80 % de l’énergie produite par la réaction, soit 14 millions d’électrons-volt (MeV), mais on y reviendra plus tard.
Contrairement à la fission nucléaire, seule une petite quantité de combustible est nécessaire : la même quantité d’énergie peut être produite avec un gramme de matière en fusion nucléaire, qu’avec un kilogramme d’uranium dans la fission, ou encore dix tonnes de pétrole brûlées dans une centrale thermique ! Il n'en reste pas moins que l'extraction de ce deutérium - trouvable à l'état naturel dans les océans - ne peut être réalisé qu'au prix d'opérations rigoureuses et précises. "Ce sont des procédés industriels maîtrisés, le deutérium est extrait par électrolyse de l’eau lourde, comme lorsqu’on retire l’hydrogène de l’eau ordinaire, commente André Grosman, directeur adjoint de l’Institut de Recherche pour la Fusion par confinement Magnétique (IRFM, CEA). La production industrielle d’eau lourde, c'est-à-dire de l’eau où le deutérium remplace l’hydrogène, est mise en œuvre depuis les débuts de la recherche nucléaire, car elle est utilisée en tant que ralentisseur de neutrons dans les réacteurs nucléaires canadiens et indiens de type 'CANDU'".
Le tritium doit être produit à partir du lithium
Le tritium, quant à lui, n’existe pas à l’état naturel. En effet il a une durée de vie courte du fait de sa radioactivité, d’une dizaine d’années, d'où sa désintégration spontanée. Il est produit à partir du lithium, lorsque celui-ci est bombardé de neutrons : la réaction génère alors un atome de tritium et un atome d’hélium, qui sont ensuite séparés. Étant un métal alcalin, le lithium réagit fortement avec l’eau et l’air, et n’est donc trouvable que sous forme de composés ioniques, présents en abondance dans la croûte terrestre. Utilisé aussi pour les batteries dans divers instruments électroniques tels que nos ordinateurs, téléphones portables ou désormais dans les voitures électriques, il est extrait chimiquement ou à partir de déserts de sel, principalement en Amérique du Sud et en Australie. Un projet de construction d’une mine d’extraction en Allemagne est actuellement en cours, qui permettrait à l’Union Européenne d’éviter tous les coûts et difficultés d’acheminement.