Energie au Maroc, quoi de neuf en 2020 ?
Bien que la plupart des agrégats, tirés de plusieurs sources[1], [2], [3], soient officiels jusqu’à fin décembre 2020, une bonne partie des chiffres de détail de 2020 sont estimés par nos soins et il est possible qu’il en résulte de légers écarts avec de futures données définitives.
La Figure 1 montre la segmentation de la consommation totale d’énergie au Maroc en 2020.
Figure 1 Segmentation de la consommation totale d’énergie au Maroc en 2020
Après avoir augmenté de 0.5% par rapport à l’année précédente, l’énergie totale consommée en 2020 aurait atteint 21,807 Mtep (Mtep = millions de tonnes d’équivalent pétrole) qui se composent :
En conséquence, l’électricité consommée (8,231 Mtep) par le Maroc représente 37,7% de l’énergie totale contre 62,3% pour le reste des produits énergétiques (13,576 Mtep).
La Figure 2 montre le côté « entrée » du schéma des flux d’énergie au Maroc en 2020
Figure 2 Le côté « entrée » du schéma des flux d’énergie au Maroc en 2020
N’assurant que 9,4% de ses besoins nets, le Maroc reste énergétiquement dépendant à 90,6%. L’énergie brute produite en 2020, à 94,4% dominée par les énergies renouvelables, aurait atteint 2,082 Mtep dont :
La soustraction des 0,1601 Mtep d’énergie absorbée à l’énergie brute produite laisse une énergie nette produite de 1,922 Mtep. Quant à l’énergie nette consommée de 21,758 Mtep, elle résulte de la déduction de 0,162 Mtep d’électricité exportée et de l’ajout des 19,998 Mtep d’énergie importée elle-même formée :
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— Lana Wood Johnson Mon Jan 25 13:48:46 +0000 2021
La Figure 3 montre le côté « sortie » du schéma des flux d’énergie au Maroc en 2020.
Figure 3 Le côté « sortie » du schéma des flux d’énergie au Maroc en 2020
En termes d’énergie finale :
Quant à la consommation sectorielle, nos estimations tendent à montrer que :
La Figure 4 montre le côté « entrée » du schéma des flux d’électricité au Maroc en 2020.
Figure 4 Le côté « entrée » du schéma des flux d’électricité au Maroc en 2020
L’électricité brute produite au Maroc en 2020, qui ne comporte encore que 6’896 GWh (millions de kWh) d’électricité d’origine renouvelable[4] (soit 17,8% du total produit), aurait atteint 38’753 GWh :
Puisqu’il est courant de ne pas considérer les capacités installées par les « Tiers Nationaux » qui produisent de l’électricité à base de chaleur industrielle, la capacité totale de production serait de 11’151 MW à fin 2020 dont 3’537 MW de capacités renouvelables hors STEP. Si les 31,7% de capacités renouvelables obtenus s’écartent significativement des 36,8% annoncés en janvier 2021 par le Directeur Général de l’ONEE[5], c’est à cause de la prise en compte de la capacité STEP4 comme « renouvelable », indûment selon nous. En tous cas, quel que soit le chiffre retenu, aucun des deux n’atteint l’objectif global des 42% à cause du fait que ni l’éolien ni le solaire n’ont atteint les 2’000 MW prévus par la Stratégie Énergétique Nationale.
Une électricité nette produite de 38’138 GWh est obtenue après soustraction des 615 GWh d’électricité absorbée à l’électricité brute produite (voir Figure 4). Puis, l’ajout des 856 GWh importés et la déduction des 624 GWh exportés mènent à une électricité nette injectée de 38’370 GWh. Nous reviendrons à l’évolution du solde des échanges avec l’étranger plus loin, notamment dans le cadre des commentaires de la Figure 6.
Des 38’370 GWh d’électricité injectée, 6’440 GWh (soit 16,8%) se seraient perdus dans l’ensemble du réseau national, celui de l’ONEE[6] mais aussi celui des 11 autres distributeurs, alors que 31’930 GWh (soit 83,2%) auraient pu être vendus.
La Figure 5 montre ce qui se passe du côté « sortie » du schéma des flux d’électricité au Maroc en 2020.
Figure 5 Le côté « sortie » du schéma des flux d’électricité au Maroc en 2020
Ainsi, la Figure 5 montre que :
La Figure 6 montre l’évolution mensuelle sur 12 mois glissants de :
Ne coïncidant pas avec l’électricité injectée à cause des pertes dans ses propres réseaux6, les livraisons de l’ONEE (courbe noire grasse de la Figure 6) représentent toutefois le meilleur proxy officiel de l’électricité effectivement vendue puisque les réseaux de distribution, à cause de leur réseau court, n’en perdent que 6 à 8% et représentent moins de la moitié avec 37% des ventes.
Figure 6: Evolution mensuelle de la satisfaction de 12 mois glissants du besoin en électricité au Maroc
Le Maroc s’est trouvé exportateur net de ses excédents mensuels de production dès décembre 2018 au point que son solde d’échanges sur 12 mois a pu devenir excédentaire de juillet 2019 à mai 2020, dans la zone entourée d’un cercle en pointillés en haut à droite de la Figure 6. Par ailleurs, sur la même Figure 6, on voit bien que ce solde exportateur aurait pu être largement satisfait par la production d’électricité renouvelable (éolienne ou solaire) qui bénéficie de meilleurs prix sur le marché européen. Mais l’année 2020 s’est finalement terminée en bridant le total de la production nette en dessous des besoins en électricité nette au point que le solde moyen mensuel en devienne légèrement importateur, en fait inférieur à 1% de l’électricité injectée dans le réseau national pour le restant de l’année. Il est vrai qu’en Europe aussi, l’épidémie de COVID-19 a aussi impacté négativement la demande en énergie électrique freinant la dynamique exportatrice du Maroc dès mars 2020.
Alors que la Figure 6 montre bien l’augmentation régulière des composantes renouvelables (surtout éolienne et solaire), la base bleu-vert de la production nette locale hors renouvelables montre deux « bosses » :
L’effacement du secteur public face à la production privée d’électricité n’est ni récent, ni spécifiquement marocain depuis que le vent du thatchérisme [1979, 1990], soutenu par la Présidence de Ronald Reagan [1981, 1989], a déclenché l’effacement de tous les pans des secteurs publics face au secteur privé. Concernant spécifiquement le secteur de la production d’électricité du Maroc, la Figure 8 montre bien l’évolution des parts d’électricité produite au Maroc par les secteurs public et privé et met en lumière la cession, par à-coups, de parts de marché de l’opérateur historique au secteur privé au fur et à mesure de l’adjudication de marchés de concession ou, depuis la dernière décade, des avancées de la production indépendante des acteurs privés agissant dans le cadre de la LER 13/09.
Alors que les centrales privées à base de renouvelables grignotaient très progressivement des parts de marché depuis 2000, les cessions de parts de marché de production les plus abruptes avaient déjà commencé en 1996 et ont été réalisées à la mise en service de centrales thermiques privées, notamment celle au charbon de Jorf Lasfar (1996 à 2000) ainsi que de son extension (2013 à 2014), puis celle au gaz naturel de Tahaddart (2009 à 2010) et enfin celle au charbon de Safi (2018). Sans être « dans le secret de Dieux« , il semble bien que l’usage du gaz naturel payé par la redevance du gazoduc Maghreb – Europe combiné à la production privée à base de charbon ait été un moyen efficace pour obtenir un kWh au moindre coût pour ce pays qui est énergétiquement dépendant à plus 90%. Mais ne va-t-on pas finir par payer cher ces retraits de l’ONEE et ne risque-t-on pas, à terme, de jeter le bébé avec l’eau du bain ?
A propos de privatisation, celle de la centrale au gaz naturel à cycle combiné (CGCC) de Tahaddart, approuvée le 8 novembre 2018 et intégrée dans la Loi de Finances de 2020, semble finalement une « fausse bonne idée« . D’abord parce que la société Energie Électrique de Tahaddart (EET) exploitant la centrale est déjà privée, même si 48% des actions sont détenus par un opérateur public (l’ONEE). Ensuite, parce que, même si les parties prenantes se sont bien gardées de communiquer (comme d’habitude) sur la teneur exacte du contrat qui les lie, on peut affirmer que ce que rapporterait les parts détenues par l’ONEE est complètement plombé par la courte durée de revenus futurs d’un contrat d’achat s’achevant en 2025 :
A titre indicatif, l’estimation d’une valeur très grossière de la part de l’ONEE dans EET basée sur la moitié du « good will » ne dépasserait pas 48% x 400 millions de Dh (estimé sur la base de 0,08 Dh de revenu net par kWh pour les 10’000 GWh encore à fournir) alors que la part de l’ONEE dans la moitié du coût initial de la centrale atteindrait 48% x 1,55 milliard Dh ; la CGCC vaut bien cela après avoir été à l’arrêt d’avril à juin 2020 pour être complètement rénovée et avoir même augmenté sa capacité de 384 à 407 MW. A supposer que le contrat de EET soit prolongé, va-t-on privatiser ou pas ?
Figure 7 Parts d’électricité produite par les secteurs public et privé et de l’électrification rurale
Comment la Branche Electricité de l’ONEE pourrait-elle être en bonne santé financière quand :
L’ONEE a été un outil majeur de mise en œuvre de politiques publiques des dernières décades et le sera sans doute encore. A cet égard, et au risque que cela coûte encore plus cher plus tard, il est tout à fait légitime que l’on sorte des « solutions de plâtrage »[8] et que suffisamment de deniers publics soient mis sur la table, pas seulement pour sortir l’ONEE du podium des plus mauvais payeurs parmi les Entreprises et Etablissements Publics[9] (EEP) mais pour le remettre progressivement et complètement sur pied en contrepartie[10] d’une gestion efficace et transparente renouant avec la productivité et la performance économique conformes aux nouvelles donnes du marché de l’électricité du Maroc. La crise du COVID-19, mais pas seulement elle, ont montré au monde entier que le « tout-privé » n’était pas la panacée et combien il est important de préserver la performance des services publics pour éviter d’avoir à subir les conséquences de la réduction de leur taille.
Comme montré à la Figure 7, en parallèle à cette « avenue » qui a été offerte au charbon cette dernière décade, la mise en service des centrales éoliennes et solaires a permis la descente, certes très erratique, vers 633 grammes d’équivalent CO2 par kWh, du facteur d’émission de gaz à effet de serre de l’électricité produite au Maroc en 2020. Les oscillations intempestives visibles sur la Figure 7 sont surtout dues à celles de la production hydroélectrique elle-même pilotée par la pluviométrie à cause de laquelle, hélas, le Maroc n’a produit en 2020 qu’un huitième de ce qu’auraient pu produire les centrales hydroélectriques de nos barrages si nous avions eu assez d’eau pour le faire !
Figure 8 Grammes d’équivalent CO2 émis pour chaque kWh d’électricité produite au Maroc.
Par Amin BENNOUNA (sindibad@uca.ac.ma)
Références[1] Ministère de l'Energie, des Mines et de l'Environnement du Royaume du Maroc, Portail des statistiques de l'Observatoire Marocain de l'Energie, https://www.observatoirenergie.ma/data/[2] Direction des Etudes et des Prévisions Financières du Ministère de l'Economie, des Finances et de la Réforme de l'Administration du Royaume du Maroc, Notes de Conjoncture, http://depf.finances.gov.ma/etudes-et-publications/note-de-conjoncture/[3] Bank Almaghrib, Revue de la Conjoncture Economique, http://www.bkam.ma/Publications-statistiques-et-recherche/Documents-d-analyse-et-de-reference/Revue-de-la-conjoncture-economique[4] Bien que faisant partie de l’énergie hydraulique, l’électricité produite par les stations de transfert d’énergie par pompage (STEP) ne doit pas être comptée parmi les renouvelables car elles ne sont qu’un moyen de stockage qui absorbe lui-même de l’électricité, qui peut ne pas être de source renouvelable. Il se trouve que, justement, presque tous les jours jusqu’à fin 2018, la STEP d’Afourer du Maroc a été presque exclusivement alimentée par de l’électricité importée la nuit à bon marché, de source non renouvelable.[5] Abderrahim El Hafidi, Directeur Général de l’ONEE, "Bilan des réalisations de l’ONEE", 29 janvier 2021, http://www.one.org.ma/fr/doc/Communication/Dossier%20sp%C3%A9cial%20ONEE_29_01_2021%20fran%C3%A7ais.pdf[6] Amin BENNOUNA, "Les 'pertes non-techniques' dans le réseau électrique de l’ONEE engloutissent plus que l’électricité solaire produite à Ouarzazate !", Webmagazine EcoActu, 28 février 2020, https://DOI.ORG/10.13140/RG.2.2.34602.98248[7] Obtenir des contrats d’achat d’électricité au prix le plus bas incite à acheter (ou sinon la payer) toute l’électricité générée par les concessionnaires de production d’électricité.