Chare-Cadet Lwanyi: Accélérer l’électrification de la RDC (Tribune)
Dans son discours d’investiture le 24 janvier 2019, Le Président Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo avait pris l’engagement de tout mettre en œuvre afin de donner accès à l’électricité à au moins 30 % de la population d’ici 2024.
Rappelons que malgré ses 100 000MW de potentiel hydro-électrique dont 10 000MW propices aux micro, mini et pico-hydroélectricité, la RDC reste l’un des pays les moins électrifiés du continent, avec seulement 9% de la population qui a accès à l’électricité. Environ 1% dans les zones rurales.
En dépit du potentiel solaire quasi illimité, les projets dans ce secteur restent encore timides.
Nul besoin de rappeler que le développement industriel nécessaire à l’essor de la RDC ainsi que le relèvement de la situation sociale de la population ne serait qu’utopique sans un plan d’électrification clair et des actions concrètes dans ce secteur.
Ainsi, il est capital que tous les acteurs du secteur d’électricité et toute personne préoccupée par le développement de la RDC réfléchissent sur la manière dont l’électrification du pays devrait être abordée en pratique, pour que d’ici horizon 2024 le taux d’électrification du pays connaisse une croissance significative de manière à réaliser la vision du chef de l’Etat.
Vue les différents défis rencontrés dans ce secteur, nous pensons que ce problème devrait être abordé sous deux angles :
- Les solutions centralisées de grande puissance (Centrales hydroélectriques)
Ces solutions sont plus propices pour favoriser le développement de l’industrie lourde, minière et le secteur tertiaire.
Cependant, si nous considérons la disparité des zones rurales en RDC, une approche centralisée par extension du réseau électrique ne saurait être économiquement viable car, le cout d’investissement est énorme. Les couts d’infrastructures de transmission sont très élevés si bien que le retour sur investissement ne serait pas intéressant.
Rappelons aussi que l’approche centralisée ne peut être envisagée à court terme. Les projets d’électrification centralisés nécessitent énormément de temps, depuis la phase de projet jusqu’à la connexion effective des ménages.
Ils ne sont donc pas forcément adaptés lorsqu’il s’agit d’améliorer le taux d’électrification en aussi peu de temps.
Comme le dit l’ingénieur Nestor Mwemena, PDG honoraire de la Snel, dans son ouvrage ELECTRIFICATION TOTALE DE LA RDC A L’HORIZON 2060 :
« L’industrie de l’électricité étant fortement capitalistique, les capitaux nécessaires dont elle a besoin sont nettement supérieurs aux ressources financières susceptibles d’etre auto générées par une entreprise publique d’électricité comme la SNEL qui accuse d’énormes déficits de financement ne pouvant être comblés que par des subventions de l’Etat et des emprunts extérieurs. Il importe donc de trouver d’autres sources d’investissement et d’envisager, pour ce faire, de nouveaux mécanismes institutionnels légaux pour le partenariat public-privé »
La Snel ne saurait donc à elle seule relever les défis de l’électrification résidentielle en RDC pour des raisons évidentes évoquées ci-haut.
- L’électrification résidentielle.
L’Atlas des énergies renouvelables de la RDC nous renseigne que les besoins énergétiques des ménages (secteur résidentiel) sont estimés à 4000 MW environ. Pourtant, seulement 0,5 à 3% de ces besoins sont satisfaits. L’énergie disponible étant prioritairement orientée vers les activités de production existant dans chaque province (essentiellement le secteur des mines, la petite transformation et le tertiaire).
L’une des pistes non négligeables seraient les systèmes décentralisés tels que les minicentrales solaires et les kits solaires à usages domestiques afin d’accélérer de manière significative le taux d’électrification résidentielle, surtout en milieu rural où les besoins énergétiques ne sont pas immenses.
L’avantage de ces solutions étant la rapidité dans le déploiement, la flexibilité et la contribution à la création rapide des emplois locaux.
Le plus grand défi auquel fait face ces solutions demeure le cout élevé des systèmes qui ne correspond pas dans la plupart des temps au pouvoir d’achat des populations qui lui, reste très faible, surtout dans les zones rurales. Ce cout élevé étant dû entre autres au cout élevé des importations et à la pression fiscale pesant sur les acteurs privés qui opèrent dans le secteur. A cela, il faut ajouter les difficultés et couts logistiques liés à l’état des infrastructures du pays.
Suite à ces contraintes, les opérateurs privés de ce secteur se trouvent asphyxié.
Heureusement que depuis quelque temps, certaines décisions gouvernementales ont commencées à être prises dans ce secteur, démontrant ainsi une volonté politique manifeste de favoriser un cadre réglementaire et légal susceptible d’encourager les initiatives privées. Parmi ces décisions, nous pouvons citer :
- La loi N° 14/011 du 17 Juin 2014 relative au secteur de l’électricité
- Le Décret N°16/013 Du 21 Avril 2016, portant création, organisation et fonctionnement de l’Autorité de Régulation du secteur de l’électricité, ARE en Sigle.
- Le Décret N°16/014 Du 21 Avril 2016, portant création, organisation et fonctionnement de l’Agence Nationale de l’Electrification et des Services Energétiques en milieux rural et périurbain, ANSER en sigle.
- L’agrément aux avantages du Code des Investissements par l’Agence Nationale pour la Promotion des Investissements (ANAPI), bien que nous sommes convaincus que l’Agence peut faire encore plus, en étendant par exemple ces avantages sur une plus grande durée. Ceci devra permettre d’attirer plus d’investisseurs dans ce secteur où la rentabilité des projets n’est pas évidente à court terme.
- La signature de quelques partenariats public-privé. Exemple du protocole d’accord signé en janvier 2020 entre le gouvernement de la RDC et la société Bboxx Capital RDC, en marge du Sommet Royaume-Uni – Afrique.
Le fond Mwinda porté par ANSER est aussi un autre exemple. Nous croyons que ce type de projets devrait jouer un rôle clé dans la concrétisation de la vision du chef de l’Etat de porter le taux de l’électrification de la RDC à 30% d’ici 2024.
Le Bengladesh pourrait nous servir d’exemple dans ce domaine.
En 15 ans, Le Bangladesh a pu connecter plus de 4 millions de ménages ruraux, soit plus de 20 000 connexions par mois à l’aide des systèmes solaires à domicile (Solar Home Système : SHS). Ce succès étant le résultat des prix très abordables et adaptés au pouvoir d’achat des populations grâce à l’appuis d’un organisme de financement pour le développement du Bangladesh et d’un partenariat solide avec la Banque mondiale, ayant financé le projet jusqu’à hauteur de 400 millions de dollars américains.
Pour plus de détails de ce projet bangladais, je vous recommanderais vivement le document « Living in the Light : The Bangladesh Solar Home Systems Story ».
Non loin de nos frontières, en Afrique, le Togo est sur les mêmes pas, grâce à un partenariat solide entre le gouvernement et les opérateurs privés œuvrant dans le secteur des systèmes solaires à domicile. L’appuis de l’Etat permet ainsi d’accélérer l’électrification des habitants des zones rurales, vue que celles-ci peuvent acquérir ces kits solaires à des prix suffisamment bas qui correspondent à leur pouvoir d’achat. L’objéctif du gouvernement togolais étant d’électrifier grâce à ce projet plus de 550 000 ménages.
Nous pouvons citer plusieurs autres exemples en Afrique tels que le Kenya, le Rwanda et bien d’autre.
La RDC peut s’inspirer de ces exemples de succès pour atteindre ses objectifs ambitieux d’améliorer sensiblement le taux d’accès à l’électricité dans les 2 prochaines années. Il suffit d’une volonté politique ferme accompagnée des actions concrètes telles que le Fond Mwinda, les allègements fiscaux et autres subventions pour les opérateurs privées. Ceci devra leur permettre d’accélérer les expansions à travers le pays, avec comme corolaire, la création de plusieurs milliers d’emplois au passage.
Par Chare-Cadet Lwanyi
Ingénieur Civil électricien et Directeur des Opérations chez Bboxx Capital RDC