Brice Lalonde : « L’écologie ne doit pas être le monopole d’un parti »
Président de l’association Équilibre des Énergies, l’ancien ancien ministre de l’Environnement défend le nucléaire, la décarbonation et n’épargne pas Europe Écologie-Les Verts.
La lutte contre le réchauffement climatique progresse-t-elle ?
Cela commence enfin à bouger, mais cela n’a pas été facile. Cela étant, j’ai déjà connu des périodes d’euphorie, je suis donc méfiant… Je me souviens notamment d’Obama affirmant que l’inaction climatique des États-Unis était terminée. Ensuite, on a eu Trump… Avec Biden, la donne a changé. Il a réellement nommé des militants du climat que je connais au sein de son administration. Autre avantage de Biden : en raison de son âge, il n’est pas sûr qu’il se représente, il est donc pressé.
A contrario, il y a des motifs d’inquiétude. La population mondiale ne cesse de croître, les pays en voie de développement ont besoin d’énergie, les pays charbonnés continuent à faire du charbon… Seuls les pays développés ont commencé à réduire leurs émissions.
Quels sont les principaux freins ?
Les sources d’énergie ne sont pas équitablement réparties à travers la planète. Durant deux siècles, la prospérité du monde est venue des combustibles fossiles qu’il faut désormais abandonner. L’équation n’est pas si simple. Elle est rendue encore plus complexe en France car une partie des écologistes est hostile au nucléaire. Pour eux, il faut se passer d’un allié.
Quel est le principal levier pour lutter contre le réchauffement climatique : les actions individuelles ou la transformation du modèle économique des entreprises ?
C’est une question de politique et d’investissement. Il faut que la politique et les entreprises marchent ensemble. Les consommateurs doivent aussi contribuer à l’effort. C’est un effort partagé. Il faut des contraintes, des objectifs et des rapports annuels. Il n’y a pas de solution unique, c’est une combinaison. Le regard écologique doit être global. Il faut arrêter de brandir des solutions parfaites et magiques.
La transformation de nos modes de vie est-elle assez rapide au regard des bilans alarmistes du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) ?
Elle ne va pas assez vite. Sauf dans un domaine : l’automobile. L’Union européenne a pris des mesures dures, contrairement à ce qu’elle fait dans le bâtiment ou l’industrie. La plupart des grandes compagnies automobiles passent à l’électrique. Mais cette révolution demandera beaucoup d’efforts aux constructeurs, aux pouvoirs publics et aux automobilistes.
La France peut-elle jouer un rôle dans cette nouvelle donne environnementale ?
Nous avons des centrales nucléaires que d’autres pays européens n’ont pas ou ne veulent pas. Ce qui nous confère une indépendance stratégique cruciale. Pour lutter contre le changement climatique, on doit d’abord électrifier, car l’électricité peut être produite (éolien, solaire, hydraulique) sans émettre de gaz à effet de serre. Mais encore faut-il accepter d’électrifier, ce qui est le cas pour les voitures, mais pas encore pour les bâtiments. Il y a une très forte résistance du puissant lobby du gaz. Quant à l’industrie, elle est partie en Chine. Il faudrait déjà qu’elle revienne. Quand on regarde le bilan carbone de la France, on constate que les émissions dues à nos importations sont supérieures aux émissions produites sur notre territoire.
L’action des lobbys est-elle la principale entrave ?
Le lobby du gaz et du pétrole, notamment. Les revenus des plus puissantes compagnies et des pays producteurs, comme l’Arabie Saoudite ou la Russie, proviennent largement de la vente du combustible fossile. Il est évident qu’ils n’ont pas envie que la transformation s’accélère. Les pétroliers sont même en train de dire que s’ils ne peuvent plus vendre de pétrole, ils vont vendre du plastique…
Mais les grandes compagnies pétrolières se reconvertissent elles aussi. Regardez Total, qui est aujourd’hui le deuxième producteur d’électricité solaire au monde. Aux États-Unis, ExxonMobil, le principal financier de la propagande anti-climatique, vient d’être mis en minorité par des actionnaires militant pour la décarbonation. C’est une révolution.
Lorsque vous étiez au ministère de l’Environnement, avez-vous été confronté à l’influence des lobbys ?
Bien entendu. Quand il a fallu que j’impose des pots catalytiques et de l’essence sans plomb, j’ai dû résister aux compagnies automobiles. Mais les lobbys ne sont pas forcément une mauvaise chose, cela fait partie du métier. Les militants anti-nucléaire forment eux aussi un lobby. Tout le monde défend sa cause.
Contrairement à la plupart des écologistes qui restent fermement opposés au nucléaire, vous affirmez qu’il s’agit d’un « allié » dans la lutte contre le réchauffement climatique…
Le nucléaire n’est pas le problème. C’est une énergie qui ne génère pas de gaz à effet de serre. Tant qu’on peut avoir une électricité d’origine nucléaire, mieux vaut la garder.
Certains défendent une sortie totale du nucléaire. Que vous inspire cette perspective ?
Ce serait une erreur. Arrêter Fessenheim (la centrale de Fessenheim, dans le Haut-Rhin, a été arrêtée en juin 2020, ndlr) a été une erreur majeure. C’est une décision inconcevable. On se demande si les responsables avaient la tête à l’endroit… On peut ne pas aimer le nucléaire, mais le vrai sujet, c’est de savoir comment on combat le changement climatique.
Le gouvernement s’est engagé à ce que la part du nucléaire tombe à 50% d’ici 2035. Comment jugez-vous cette décision ?
Ce n’est pas cohérent, c’est du doigt mouillé. Cette décision est fondée sur l’idée qu’on consommera de moins en moins d’énergie et qu’on sera tous extrêmement sobre. Ce qui est une aberration. Au contraire, lorsqu’on regarde les enjeux de la décarbonation, il faudra sans doute plus d’énergie.
Pourquoi ?
Parce que vous ne pourrez pas faire voler des avions avec des carburants synthétiques si vous n’avez pas d’énergie pour les produire. De même, vous n’allez pas pouvoir produire de l’hydrogène si vous n’avez pas d’électricité pour électrolyser l’eau. La décarbonation coûte très chère en énergie. L’avenir ne sera pas plus frugal. On aura besoin d’encore plus d’énergie décarbonée. Une grande partie des projections reposent sur une vision des années 70, à l’époque de la guerre du Kippour, des économies d’énergie et du slogan « on n’a pas de pétrole, mais on a des idées »… Tout ceci est dépassé. Les rendements et les économies d’énergie ne sont pas le problème. Ce qui compte, c’est de réduire les émissions de CO2. La décarbonation est la clé.
L’association Négawatt envisage une France utilisant 100% d’énergies renouvelables en 2050. Que vous inspire ce scénario ?
Ils ne connaissent pas le climat. Leur scénario est à côté de la plaque, car le problème, ce sont les émissions de CO2. Ils me font penser à des pompiers qui, au lieu de combattre l’incendie avec des lances à incendie, se soucieraient uniquement de la taille des tuyaux pour économiser l’eau…
L’éolien est de plus en plus décrié. Partagez-vous les arguments de ses détracteurs ?
Il n’existe pas de source d’énergie sans inconvénient. Les éoliennes ont leurs inconvénients, tout comme les centrales nucléaires, les panneaux solaires… La place privilégiée des éoliennes est là où il y a des alizés (vent des régions intertropicales, ndlr). En France, nous avons des côtes. Les éoliennes flottantes sont moins gênantes. Mais si on veut remplacer des centrales par des éoliennes, il faudra beaucoup d’éoliennes.
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Quid des pays scandinaves qui ont massivement recours à l’éolien ?
C’est normal, ils sont au charbon. Dans les pays scandinaves, mettre des éoliennes est intéressant. Quand vous avez du nucléaire, c’est beaucoup moins utile.
Dans la lutte contre le réchauffement climatique, la question de la justice sociale est rarement évoquée. Comment l’appréhendez-vous ?
Il faut en tenir compte et aider les citoyens qui n’ont pas les moyens de transformer leur mode de chauffage ou de transport. Il faut de la redistribution. Tout le monde doit faire des efforts. Quand vous instaurez une taxe sur l’énergie, il faut redistribuer cet argent à ceux qui en ont besoin. Mais attention aux clichés. Les gens qui vivent à la campagne, par exemple, ont souvent des voitures électriques, car il est plus facile de recharger son véhicule dans un jardin.
La fin du diesel est-elle une bonne nouvelle ?
On a fait une bêtise en voulant tout de suite transformer le diesel. A la campagne, le diesel émet moins de CO2 que l’essence. En ville, en revanche, le diesel est plus nocif, y compris pour les poumons. L’arrêt du diesel est une décision que la ville impose à la campagne.
La politique environnementale serait donc trop manichéenne ?
Absolument. Ce sont des décisions systématiques. On prend une décision et on l’impose à tout le monde de manière indifférenciée, alors qu’il faudrait des mesures au cas par cas, même si c’est plus compliqué à mettre en œuvre.
Les multinationales ont une lourde responsabilité dans les émissions de gaz à effet de serre. Faut-il les contraindre à se transformer ?
Il faut forcément des contraintes, mais il faut aussi discuter et signer des accords internationaux. On se met d’accord sur un certain nombre d’objectifs et on tente de les appliquer. Les multinationales ne sont pas le diable. Elles sont déjà en train de se transformer. C’est plus compliqué pour les entreprises qui vendent du charbon ou du pétrole, car vous attaquez directement leur modèle économique.
Les multinationales sont-elles le problème ou la solution ?
Quand on veut du profit à court terme et qu’on se fiche totalement des conséquences environnementales ou sociales de l’activité dont on est actionnaire, cela ne contribue pas à régler le problème climatique, je vous le concède. Mais les dirigeants d’entreprise ne sont pas tous des délinquants ! Ce sont des gens normaux qui pensent eux aussi à l’avenir. L’émergence de la RSE et des entreprises à mission est bien la preuve qu’une transformation des entreprises vers le bien commun est en cours. On n’arrivera à rien sans les entreprises. C’est notamment ce qui me différencie des Verts : ils ont un discours anti-entreprises. De mon côté, je pense que les entreprises sont des alliées dans la lutte contre le changement climatique. Sans elles, le combat est perdu d’avance.
Que pensez-vous de l’écologie punitive ?
Il y a l’écologie punitive et l’écologie incitative. Il faut sans doute un peu des deux… Mais on ne doit pas punir tout le monde. Il faut punir les délinquants, ceux qui polluent en toute impunité. Les Verts, eux, sont très portés sur l’écologie punitive. Leur credo est simple : « y a qu’à interdire, y a qu’à supprimer »… La réalité n’est pas aussi caricaturale. Il y a des problèmes sociaux, des mesures d’accompagnement à mettre en place, des substitutions à opérer…
Comment jugez-vous la direction prise par Europe Écologie-Les Verts ?
Son évolution me rend pas extrêmement heureux. Je pense qu’ils font trop de politique et pas assez d’écologie. Ils devraient travailler davantage. Ils ont la couleur verte et pensent que ça les dispense de faire des efforts. Pourquoi ? Parce qu’ils estiment que les gens soucieux d’écologie voteront automatiquement pour eux…
Au fond, ils s’occupent surtout de préparer la prochaine échéance électorale en signant des accords pour se placer dans les conseils municipaux et régionaux ou au gouvernement. En résumé, ils cherchent à prendre le pouvoir. L’écologie ne doit pas être le monopole d’un parti, c’est une question publique qui concerne tous les partis politiques.
Sur quels points les Verts font-ils fausse route ?
Dans le domaine du nucléaire. Ils veulent aussi supprimer le chauffage électrique. Sur la question des relations avec l’islamisme politique, ils font également fausse route. Ils ne voient pas la menace.
Vous êtes très critique vis-à-vis des Verts. Mais si la question climatique est devenue centrale, n’est-ce pas en partie grâce à eux ?
Est-ce vraiment grâce à eux ? Ou est-ce la jeunesse, les associations ou tout simplement la force des choses ? Les manifestations de jeunes n’étaient pas organisés par les Verts. Les Verts font parti d’un grand mouvement, mais ils ne le dirigent pas.
Leur reprochez-vous d’être trop proche de la gauche ?
Tout à fait. Ils ne devraient pas être à gauche de la gauche. C’est une erreur de positionnement.
L’écologie est-elle de gauche ou de droite ?
L’écologie, c’est l’affaire de tous. La défense de la nature n’est ni de droite ni de gauche. Dans les années 60, les écologistes étaient surnommés les « conservationnistes ». Le WWF a été créé par le prince Bernhard des Pays-Bas et le duc d’Edimbourg. Ce n’est pas franchement la gauche radicale !
Le capitalisme est-il responsable de la crise climatique ?
Qu’est-ce que le capitalisme ? On emploie souvent ce mot pour décrire la réalité d’aujourd’hui, sans trop savoir ce qu’il signifie… Ce sont évidemment les activités humaines qui sont à l’origine du réchauffement climatique. Mais le capitalisme a-t-il créé les combustibles fossiles ? En partie, oui. Mais n’oublions pas que les plus grandes compagnies pétrolières sont des entreprises publiques.
Il faut bien entendu encadrer le capitalisme. Il n’y a pas de marché sans régulation. Il faut des lois et des règles. Et si possible des lois internationales, car l’affaire climatique est planétaire. L’une de nos difficultés est justement l’absence de régulation ou de gouvernance planétaire face à un problème planétaire. Les Nations Unies ne sont qu’un syndicat d’États souverains. Seule l’Europe légifère un peu au niveau supranational.